samedi 16 mars 2013

[Afrique centrale] Angola : la princesse Isabel Dos Santos, à l'assaut du Portugal

Extrait de Le Point 14 Mars 2013

LA PRINCESSE ANGOLAISE A L'ASSAUT DU PORTUGAL De notre envoyé spécial
François Musseau.

1_angola_isabel-dos-santos.jpg Tycoon.  Fille du président angolais, Isabel dos Santos investit l'ancienne
puissance coloniale.

Dans le grand salon de l'hôtel Ritz de Lisbonne, noyé sous les massifs
d'orchidées, un groupe d'Angolais parle avec volubilité. Tout autour, le
personnel portugais est aux petits soins pour ces hommes d'affaires qui
commandent liqueurs et vins fins sans retenue. Dans les boutiques de luxe
jouxtant le hall d'entrée, les seules clientes sont aussi de nationalité
angolaise.

C'est dans ce même Ritz, entre la place Marques de Pombal et le parc Eduardo
VII, que descend « la Princesse ». Confidences d'un serveur : elle a une
suite attitrée (environ 6 000 euros la nuit) , « mais elle est très
abordable, sans manières, souvent vêtue d'un jean et d'un tee-shirt » .

L'homme, qui insiste pour que son témoignage demeure anonyme, n'est pourtant
pas peu fier de fréquenter une femme aussi puissante qu'invisible au
Portugal. L'an dernier, à seulement 39 ans, Isabel dos Santos était classée
parmi les dix personnalités les plus influentes du pays par l'hebdomadaire
Expresso . Une jolie frimousse métisse - sa mère est russe - qui dissimule
une femme d'affaires ambitieuse, ayant déjà investi 1,4 milliard d'euros
dans le pays.

Isabel dos Santos est une femme très fortunée : selon le magazine Forbes,
elle serait la première Africaine à être devenue milliardaire en dollars. Et
pourtant, rien ou presque ne transpire sur cette businesswoman présente dans
la banque, les télécoms, l'énergie et, depuis peu, la grande distribution.
Des photos au compte-gouttes dans la presse, une furtive apparition dans un
talk-show à Luanda, pas une seule interview accordée : le pouvoir du
silence.

Son irrésistible ascension illustre un incroyable renversement de
l'Histoire. Colonisé pendant cinq siècles par le Portugal, l'Angola a pris
sa revanche. Le pays d'Afrique australe a surmonté le traumatisme du conflit
qui a mené à l'indépendance, arrachée en 1975, et de l'interminable guerre
civile entre l'Unita et le MPLA qui a pris fin en 2002 avec la victoire du
second. Longtemps exsangue, l'Angola connaît aujourd'hui une croissance à
deux chiffres et rivalise avec le Nigeria pour le titre de premier
producteur de pétrole du continent - avec 1,8 million de barils par jour.

En face, le Portugal est plongé dans une profonde récession, maintenu sous
perfusion depuis mai 2011 par une aide européenne de 78 milliards d'euros.
Le rapport de forces a changé du tout au tout. Aux abois, l'Etat portugais
met en vente ses aéroports, ses chantiers navals ou sa télé publique pour
juguler son déficit. Tout en puissance, l'Angola ne sait que faire de ses
pétrodollars.

Ultracorruption.  Une histoire et une langue communes, des liens puissants
malgré les déchirures de la décolonisation, qui s'était traduite par quelque
450 000  retornados,  les pieds-noirs lusitaniens : c'est tout naturellement
le Portugal que les oligarques angolais ont choisi comme terre d'accueil
pour leurs investissements. L'essor est spectaculaire : 4,4 millions d'euros
en 2007 ; 118 millions l'an dernier.« BTP, banques, sociétés pétrolières,
agroalimentaire, vins de Porto, leur appétit est démesuré. En un rien de
temps, c'est devenu notre quatrième partenaire commercial » , s'enthousiasme
Carlos Bayan Ferreira, président de la chambre de commerce luso-angolaise à
Lisbonne.

L'Angola, qui traîne une sale réputation de nation ultracorrompue (au 168e
rang sur 178, selon Transparency International), s'achète ainsi une
crédibilité dans la zone euro. Et le gouvernement portugais de Pedro Passos
Coelho déroule le tapis rouge aux dirigeants de l'ancienne colonie.

Comment, dans ces conditions, ne pas accueillir à bras ouverts « la Princesa
Isabel », son surnom à Luanda ? Car ce n'est pas la première venue : elle
n'est autre que la fille aînée de José Eduardo dos Santos, 70 ans dont
trente-trois à la tête de l'Angola. Un coureur de jupons qui a fait huit
enfants à trois épouses. La première, Tatiana Koukanova, il l'a rencontrée
dans les années 60 à Bakou, à l'époque où l'Azerbaïdjan était une république
soviétique et où le jeune nationaliste passait son diplôme d'ingénieur
pétrolier. Isabel est le fruit de cette union. Une fois le divorce prononcé,
la jeune Métisse passe l'essentiel de sa jeunesse à Londres, au King's
College, avant de faire de brillantes études de commerce. De retour à Luanda
à l'âge de 24 ans, la belle Isabel se lance pourtant dans le business à
tâtons : sa discothèque Miami Beach et sa société de ramassage des ordures,
Urbana, font un flop.

Mais, avec un papa aussi puissant, dirigeant régnant sur la manne
pétrolière, il n'est pas difficile de se relancer. L'ambition la pousse à
investir massivement, d'abord à domicile, dans les secteurs autres que le
pétrole ou le diamant, chasses gardées de son père et des généraux amis :
énergie, télécoms, médias, distribution...

Au Portugal, deux investisseurs angolais s'arrogent la part du lion. La
Sonangol, la compagnie nationale du pétrole... et Isabel, qui possède un
tiers du groupe multimédia Zon, 19,5 % de la BPI (4e banque du pays), une
part du géant Sonae, etc. Et ses participations ne cessent d'augmenter.
Isabel dos Santos cultive toutefois sa différence.« Elle n'a pas l'arrogance
de la plupart des nouveaux riches qui viennent ici en territoire conquis,
revanchards et le triomphe immodeste » , confie un banquier.

« inébranlable ».  La fille du président n'est pas de ceux qui s'achètent
des villas à Estoril ou à Cascais, ou écument avec avidité les commerces de
luxe de l'Avenida da Liberdade, les Champs-Elysées lisboètes.« Elle est
sophistiquée, intelligente, à l'écoute et inébranlable lorsqu'elle a pris
une décision » , avance Filipe Luis, auteur d'une enquête sur la Princesa
dans l'hebdo Visão.

Autre particularité : elle parle français dans l'intimité avec le brillant
Sindika Dokolo, épousé en 2002, fils d'une Danoise et d'un collectionneur
d'art congolais, qui la conseille dans ses choix financiers.« Ce qui la fait
courir ? A mon avis, c'est de prouver à son père qu'elle peut réussir par
elle-même » , confie, du haut d'une tour proche de la Praça de Espanha,
Jacques dos Santos (sans lien de parenté), patron régional du cabinet
d'audit Mazars.

Mais, attention, pour servir ses intérêts et ceux de son pays, pas ceux du
Portugal, avec lequel elle n'a ni lien émotionnel ni complexe
d'ex-colonisée. Si personne ne lui prête de visées politiques, d'aucuns
s'alarment de son pouvoir grandissant dans des secteurs stratégiques d'un
Portugal affaibli. A commencer par le tiers du capital du groupe Zon, qui
contrôle une demi-douzaine de titres influents.« Avec d'autres investisseurs
bien plus suspects qu'elle, Isabel dos Santos a le pouvoir de conditionner
un jour les médias portugais et de menacer le pluralisme » , s'inquiète
Nicolau Santos, rédacteur en chef de l'hebdo Expresso . La Princesa ne
prendra pas la peine de démentir : elle est, comme on le sait, aussi loquace
qu'un sphinx.

Encadré: Ses  actifs  portugais

28,8 % (385 millions de dollars) de ZON , un groupe multimédias. A travers «
Kento », elle en est l'actionnaire principale.

19,5 % (465 millions de dollars) de BPI,  4e banque privée du Portugal. Elle
en est la 3e actionnaire.

25 % de BIC  Portugal Banco, une banque importante (via le Santoro Holding).

45 % d'Amorim Energia , à travers Esperanza Holdings.

38 % de Galp , compagnie pétrolière.
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NOTRE COMMENTAIRE :
Cette fille du président angolais, M. Dos Santos, s'est-elle enrichie avec de l'argent volé dans son pays ? Cette fortune vient-elle des BMA comme au Congo-Brazzaville ? Nous le saurons tôt ou tard. L'Histoire nous le dira.