mardi 31 décembre 2013

(Afrique/Centrafrique) A Bangui, Deby et Sassou torpillent les efforts de Paris

Au Congo-Brazzaville, au Tchad et comme ailleurs en Afrique, il est des sujets qui, plus que tout autre, exacerbent les tensions. La crise politique et militaire en RCA en est un. Au point qu'il est quasiment impossible de les constituer en objet de débat politique, c'est-à-dire d'en éclairer les enjeux, d'en distinguer les tenants et les aboutissants pour opérer des  analyses et des réflexions conformes à la  réalité du terrain et  des forces en présence.  

Couleurs

Dans l’interview accordée à l’hebdomadaire Paris Match du 19 décembre 2013, Denis Sassou Nguesso avait annoncé les couleurs : « Paris Match.“En République centrafricaine (RCA), certains prédisent déjà un bourbier pour les Français...”

Denis Sassou-Nguesso.  “Je crains que nous ne nous trouvions pas face à des milices anarchiques et aussi désorganisées que nous le pensions ». Double jeu ? Simple intuition ? Fourberie ? Ce n’est un secret pour personne. Michel Djotodia, le Président intérimaire de la RCA prend  ses consignes à Oyo auprès de Sassou et une bonne partie des financements des éléments de la Séléka proviennent du Congo-Brazzaville. Et, le gros du contingent des éléments de la Séléka est constitué des Tchadiens et Soudanais qui ont reçu le feu vert d’Idriss Déby pour renverser François Bozizé.

Tchadiens et Congolais indésirables

  L’intervention des forces africaines de la mission internationale de soutien à la Centrafrique (MISCA) complique les opérations des troupes françaises. Les militaires tchadiens accusés par les chrétiens de protéger les ex Séléka s’en prennent aux militaires burundais. Des Casques Bleus qui se tirent dessus : une première. Des événements qui compliquent l’entreprise de réconciliation entre musulmans et chrétiens tout juste amorcée par les militaires français. Le général de division congolais René Boukaka avait pourtant bien prévenu ses soldats : « Vous n’allez pas à Bangui pour faire la guerre ». Peine perdue. Les militaires du Congo-Brazzaville qui prennent leurs directives ailleurs ont fait le coup de feu.  « «Nous ne voulons plus des soldats tchadiens et congolais, il faut qu’ils s’en aillent ! Seuls les Français doivent rester pour nous protéger» » (Libération, 23  décembre 2013).

Parrains

Les agissements des troupes tchadiennes et congolaises en RCA ne sont pas anodins et fortuits. Idriss Déby du Tchad et Sassou Nguesso du Congo-Brazzaville souhaitent-ils l’échec de l’opération « Sangaris » qui aboutirai à l’organisation d’élections libres et transparentes en RCA ? Assurément oui ! Ces deux parrains craignent les élections libres et transparentes comme la peste. Ces potentats, arrivés au pouvoir grâce au soutien  de Paris, savonnent aujourd’hui la planche militaire de la France en RCA .  Idriss Déby et Sassou Nguesso, les parrains de la RCA, caressent le vœu de l’enlisement de l’opération « Sangaris » au-delà de 2016. Plus la France patauge dans le marigot centrafricain, moins elle s’intéressera aux échéances électorales de ces deux pays. L’absence de réaction de l’Elysée et du Quai d’Orsay quant à l’arrestation rocambolesque de Marcel Ntsourou en est le parfait exemple. Le Tchad et le Congo-Brazzaville sont partie prenante au conflit de la RCA qui a pris des allures d’une guerre confessionnelle. Jusqu'à quand la diplomatie française va-t-elle tolérer ces turpitudes ?

Benjamin BILOMBOT BITADYS

mardi 24 décembre 2013

Tchad 2013 : la réhabilitation impossible d'un dictateur notoire

Tchad 2013 : la réhabilitation impossible d’un dictateur notoire

deby
Le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique se mobilise depuis 2009 à Paris dans le sens d’un soutien aux démocrates africains et dans le sens d’une réforme profonde de la politique française. Il constitue un espace de réflexion collective de plaidoyer et d’échanges entre partis politiques et associations, de France et d’Afrique. Aussi, le dossier d’information « Tchad 2013 : la réhabilitation impossible d’un dictateur notoire » s’attache à décrire à la fois les caractéristiques de la dictature tchadienne, et la relation entre les Etats français et tchadien.
Depuis l’arrivée d’Idriss Déby au pouvoir, le Tchad a connu de nombreuses rébellions. De nombreux massacres ont été commis par l’armée tchadienne et en particulier par la Garde républicaine. De nombreux faits datant d’avant la Cour Pénale Internationale attendent toujours vérité et justice, d’autant plus que le démarrage du procès Habré accentue l’enjeu spécifique tchadien dans la construction d’une justice internationale en Afrique.
Idriss Déby est accusé d’ingérence et de déstabilisation dans les pays voisins, en particulier en Libye, au Soudan et en Centrafrique. L’islam tchadien s’est radicalisé pendant son règne. Le régime semble incapable de se réformer et d’évoluer vers l’Etat de droit. La répression des opposants et des journalistes continue, et le régime tchadien s’est fait remarqué en raison des « disparitions forcées ». Depuis 2003, l’argent du pétrole a aggravé la corruption et les tensions. La démocratie n’a pas réussi à se mettre en place.
Idriss Déby a été mis en place en 1990 par l’armée française, installée au Tchad depuis 1986 et le début de l’opération Epervier. Le soutien français n’a jamais cessé, et est allée, en 2013, suite à la guerre au Mali, jusqu’à une tentative diplomatique de réhabilitation. Plus globalement en Afrique, la politique française, très influencée en 2013 par l’armée française, vise à construire « la paix et la sécurité » sans aucune considération pour la nature des régimes. L’alliance avec le pire dictateur des anciennes colonies françaises, le tchadien, entraine une relance de la Françafrique autour du réseau de dictateurs « amis de la France ».
Au regard de ce bilan, la politique française en Afrique et au Tchad nécessite une réforme rapide : un arrêt du soutien diplomatique et militaire aux dictateurs, et en priorité à Idriss Déby, un soutien actif aux démocrates africains, un retrait adapté des troupes françaises du Tchad, des garanties concernant la lutte contre la corruption des fonctionnaires français au Tchad, la vérité et la transparence sur l’ensemble des crimes observés par des fonctionnaires français au Tchad entre 1982 et 2013.
Dossier d’information réalisé dans le cadre du Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique,

SOURCE : http://electionsafrique.org/Tchad-2013-la-rehabilitation.html

 

jeudi 19 décembre 2013

Sommeil France-Afrique sur le Franc CFA : A quand le réveil ?

Sommeil France-Afrique sur le Franc CFA : A quand le réveil ?

Par Aliou TALL

 

Aliou TALL
Aliou TALL

Lors du dernier sommet France-Afrique, la France, qui a perdu la moitié de ses parts de marché en Afrique au profit de pays émergents comme la Chine, à manifesté sa volonté de doubler sur cinq ans ses échanges commerciaux avec le continent. Mais une question cruciale pour la souveraineté économique africaine n’a pas fait échos : l’avenir du Franc CFA. A quand un sommet Afrique-France contre cette léthargie ?

Léthargie sur les accords monétaires

Entamée au lendemain de la deuxième guerre mondiale, la Zone Franc a donné naissance au franc CFA en 1945. En fournissant les devises nécessaires à la convertibilité du Franc CFA, le trésor public français assure la garantie illimitée des monnaies émises par les deux banques centrales africaines. Ni la signature du traité de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA) en 1962, ni la révision des accords monétaires en 1972 et 1973, ne remettent en cause l’assistance et l’influence françaises. Les africains semblent confortés par cette situation de dépendance. 

S’il faut reconnaître que la France a permis à ses ex-colonies d’Afrique d’avoir une unicité monétaire, cela ne justifie pas le refus des Etats africains de s’émanciper de son protectorat monétaire. 

Au lendemain des indépendances, la zone Franc a été maintenue grâce aux pressions politiques qu’exerçait la France sur ses anciennes colonies d’Afrique noire. En effet, elle subordonnait l’octroi de l’indépendance à la signature par ces colonies de conventions de coopération. La prolifération de ces accords a assuré à la France le maintien de ses avantages économiques et de son influence géopolitique sur le continent. Certains y voient même une prolongation de la servitude coloniale. Aujourd’hui, il appartient aux africains de rompre les jougs des cette dépendance monétaire.

Déséquilibre contractuel et immixtion irrégulière de l’Union européenne dans la Zone Franc

La contrepartie la plus significative des avances du trésor français est l’obligation pour les Etats africains de déposer une partie de leurs réserves de change dans leurs comptes d’opérations tenus par la France. Cette centralisation des réserves au profit de la France  est jugée abusive, dans la mesure où la garantie française n’est nécessaire que si les comptes d’opérations africaines sont débiteurs. Lorsque les banques centrales africaines disposent suffisamment de réserves de change, la garantie de convertibilité du franc CFA reste théorique et inutile. De même, le paiement d’intérêts pour le débit des comptes courants d’opérations crée un déséquilibre au profit de la France.

La dévaluation du franc CFA en 1994 et la disparition du franc français suite à l’avènement de l’Euro ont suscité des interrogations sur l’opportunité de maintenir la Zone Franc. Dorénavant, l’Union Européenne participe par ricochet à la gestion monétaire des Etats africains. Le Système Européen des Banques Centrales, qui définit et met en œuvre la politique monétaire de l’Europe, s’invite dans l’économie des accords monétaires franco-africains auxquels il n’était pas partie. Cette immixtion remet en cause la validité de ces accords et justifie leur résiliation. 

Nos dirigeants doivent arrêter de s’infantiliser en préférant se faire assister et guider ad vitam aeternam. On ne peut plus utiliser les dégâts causés par la colonisation pour justifier l’inertie face à la problématique du Franc CFA. Les gaulois ont subi la colonisation romaine faite par les épées et le sang. Durant cette domination, ils ont beaucoup appris de la science romaine et ce sont modernisés avec. Aujourd’hui, les descendants de Jules César et de Vercingétorix se sont mis sur le même piédestal pour créer une monnaie commune, l’Euro. Alors, à quand l’Afro ?


Faut-il attendre un crash économique européen pour assumer la souveraineté monétaire africaine ? 

La force de l’Euro ne reflète pas celle de toutes les économies de la zone. De grosses sommes ont été injectées dans les économies défaillantes pour sauver la face de l’Euro. Après la Grèce, le Portugal, l’Italie et l’Espagne, la France, qui garantit le franc CFA, est inquiétée par le poids de sa dette publique. En deux ans la note de sa dette souveraine a été dégradée à trois reprises par les agences de notation Standard & Poor’s et Moody’s. La France a du mal à maintenir son taux de chômage en dessous de 10% ; à redresser ses comptes publics sans dépouiller ses contribuables ;   à mettre en œuvre les réformes et assurer une stabilité fiscale nécessaires à une croissance durable. Le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, vient de dénoncer en demi-teinte le défaut de stabilité fiscale de la France (Interview au Journal du Dimanche du 15 décembre 2013).

Pour résoudre la perte de compétitivité que traversent les économies européennes, l’idée de revoir à la baisse la parité de l’Euro face au Dollar américain fait son chemin. Cela entraînerait de facto une dévaluation du Franc CFA qui est arrimé à l’euro, avec de trompeuses conséquences sur les chiffres de la croissance.
Il y  a vingt ans, les crises du Franc français avaient provoqué la dévaluation du Franc CFA. Aujourd’hui, le poids de la dette  française pourrait provoquer des crashs obligataires, susceptibles d’impacter  négativement la santé économique de la zone CFA, dans les années qui viennent. Devons-nous attendre de subir les dégâts pour construire notre souveraineté monétaire ? Si nos dirigeants ne s’activent  pas, une autre dévaluation du franc CFA, conventionnelle ou factuelle, serait prévisible. Gouverner c’est prévenir : un sommet Afrique-France sur l’avenir du Franc CFA est souhaitable. 

Aliou TALL
Président du RADUCC (Réseau Africain de Défense des Usagers, des Consommateurs et du Citoyen)
Email : raducc@hotmail.fr

mercredi 11 décembre 2013

France/Afrique : Le sommet de l'Elysée pour la paix et la sécurité en Afrique : que fait-on de la souveraineté ?


Le Sommet de l'Elysée pour la Paix et la Sécurité en Afrique : Que fait-on de la souveraineté ? Les travaux de ce Sommet des 6 et 7 décembre 2013 ont porté sur la paix et la sécurité en Afrique, le partenariat économique et le développement, le changement climatique. 53 délégations de pays africains et la France ont participé à ce Sommet ainsi que les représentants des Nations Unies, de l'Union africaine, de l'Union européenne, du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement. 

Faut-il prendre au mot François Hollande et prendre simplement acte des résolutions du Sommet de l’Elysée ? Des questions nourries par nos expériences respectives reviennent pourtant. Elles sont du type : « La France ne demande-t-elle pas à l’opinion de valider une reprise de la main en l’Afrique ? » Les Africains ont été convoqués (à l’Elysée) en France pour parler de leur « Paix et Sécurité ». Encore une fois, dans ce contexte de mondialisation où les peurs sont exacerbées, où des forfaits djihadistes hantent les esprits, la France réussit par des artifices, à grands renforts médiatiques à polir une image bien écornée - par son élan permanent de fuite en avant - et à valider un grand « re-tour » en Afrique, qui était beaucoup décrié ces dernières années. A défaut d’une auto-flagellation aux fins de faire un bilan objectif de son passé colonial, la France persiste dans sa logique à être le gendarme en Afrique. Elle n’entend pas les aspirations à la liberté des couches populaires et de la jeunesse africaines. Elle ne comprend pas que les mutations de générations doivent impliquer des approches réalistes. Elle s’entête plutôt à être le bras séculier d’une race de col blanc et d’une élite corrompus.

Nous pouvons lire dans la déclaration : que « Les Chefs d'Etat et de Gouvernement ont réaffirmé leur attachement à la sécurité collective sur le continent africain et leur engagement à favoriser la paix et promouvoir les droits de l'Homme, en conformité avec les buts et principes de la Charte des Nations Unies et de l'Acte constitutif de l'Union africaine. Ils ont appelé de leurs vœux le renforcement du dialogue stratégique entre l'Afrique et la France pour une vision commune des menaces. Ils ont affirmé que paix, sécurité et promotion et protection des droits de l'Homme étaient indissociables et qu'une action rapide en cas d'atteintes graves aux droits de l'Homme pouvait constituer un outil efficace dans la prévention des conflits… ».

Quel message la France envoie-t-elle à la jeunesse africaine ? Quelle est la part de la souveraineté africaine ? Pendant que Hollande fait de beaux discours, les actes posés par nombre de ses invités (Alassane Ouattara, Idriss Déby Itno, Faure Eyadéma, …) sur les droits de l’homme le contredisent, s’ils ne contrarient pas sa conscience. Quel crédit donner aux discours de Hollande quand ses compliments directs et/ou indirects à l’endroit du chef de l’Etat ivoirien (Alassane Ouattara) sont complètement décalés par rapport à la réalité du vécu des populations en Côte d’Ivoire. 

Des rapports des ONG mettent en évidence le caractère autoritaire et dictatorial du régime de Ouattara et la justice des vainqueurs ; des tortures de prisonniers politiques dans les geôles du pouvoir ivoirien - le syndicaliste Mahan Gahé en est mort -, sont monnaie courante ; des Ivoiriens pourchassés hors de la Côte d’Ivoire perdent la vie en exil dans l’indifférence totale ; un récent rapport de l’ONU déclare que Ouattara a mis en mission des tueurs pour assassiner des pro-Gbagbo exilés au Ghana. La France n’a pas réagi à ce rapport, pas plus qu’elle ne condamne les graves violations des droits de l’homme qui se poursuivent en Côte d’Ivoire.

François Hollande « avait juré durant sa campagne électorale de jeter dans le placard de l’histoire la Françafrique de ses prédécesseurs. Au final, il leur a emboîté le pas : deux interventions dans le continent noir rien que durant les deux premières années de son quinquennat ! Evidemment, le président socialiste français a invoqué de bons arguments et de bonnes intentions : chasser les djihadistes qui menaçaient Bamako à partir du nord du Mali qu’ils occupaient, et rétablir l’ordre étatique à Bangui menacé de surcroît de génocides ethnique et religieux. Mais sa promptitude a laissé dubitatif, même s’il a associé intelligemment des pays africains, le Conseil de sécurité et les commissions de l’UE et de l’UA, ce qui lui permet de claironner que la Françafrique, c’est du passé. En fait, rien de cela, car s’il n’est pas intervenu pour sauver des régimes, il l’a fait au nom d’intérêts géostratégiques de la France. François Hollande, qui a cherché à se débarrasser de cette image néo-colonialiste connotée par la Françafrique, promet davantage à l’occasion de son Sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique où il n’y aura pas que le carré français et d’autres pays africains francophones. Paris va, a-t-il affirmé à ses invités,  revoir sa politique africaine pour lui ôter ses fondements et relents néocolonialistes, pour instaurer enfin avec le continent des rapports gagnant-gagnant… »

Nelson Mandela décède la veille de ce Sommet de l’Elysée. Il faut saluer la mémoire de cette icône, de ce monument reconnu par le monde entier. Comment voir le décès de l’illustre disparu la veille du Sommet France-Afrique ? Cette coïncidence peut être en soit un message. Sur ce Grand symbole de la paix et de la réconciliation, François hollande dit dans l’expression de son hommage : « Mandela a vaincu le système odieux de l’Aparteid … Mandela est un exemple ; un exemple de résistance face à l’oppression ; un exemple de liberté face à la justice ; un exemple de dignité face à l’humiliation, un exemple de clairvoyance face à l’intolérance ; un exemple de pardon face aux haines ; un exemple de lucidité face aux dérives du pouvoir ; un exemple d’intelligence face aux épreuves … ». 

Nous avons ainsi un message, comme le dit Hollande lui-même, à tous ceux qui luttent contre l’oppression, pour leur liberté et pour la justice … C’est aussi un message aux différentes manifestations du racisme. Le Sommet des 6 et 7 décembre 2013 porterait sur la paix et la sécurité de l’Afrique. Il y a là comme une générosité débordante de l’ancienne puissance tutélaire à s’occuper de la sécurité des autres. Celle-là (la France) qui n’actionne pas les accords de défense lorsqu’elle trouve le pouvoir agressé indocile. La tentative de coup d’Etat du 19 septembre 2002 - qui est la racine de la situation actuelle en Côte d’Ivoire - nous parle encore et toujours. 

Devant la débâcle de la CPI, cette institution décriée même par des Occidentaux, tellement elle sert de théâtre à des règlements de comptes politiques ; tellement l’emprise politique du Conseil de sécurité s’y manifeste au contraire du droit et de la justice qui ont motivé sa création ; tellement le scandale des manipulations apparaît au grand jour, Hollande nous sort du chapeau la nécessité de former 20 000 soldats par an pour la sécurité et la paix en Afrique. Cette façon de faire, lue comme une infantilisation supplémentaire des dirigeants africains, n’est pas accueillie favorablement sur le continent. Sur les 2 interventions militaires de la France en Afrique - en moins de deux ans de mandat Hollande : le permis d’aller tuer quand les sondages sont bas -, en dehors des applaudissements mis en avant par des caméras intéressées, il y a un vrai malaise par rapport à cette France qui s’invite à nouveau à grands fracas en Afrique au 21è siècle, en faisant « avaler » des accords qui seront encore demain des variables d’ajustements au gré des contingences françaises.

« … MANQUEMENTS À LA DÉMOCRATIE : Dans la majorité des pays du continent, les élections s'apparentent davantage à un outil de préservation du pouvoir qu'à une réelle possibilité d'alternance politique. Depuis le discours de La Baule, dans vingt pays du continent, tous ceux qui ont organisé des élections les ont gagnées. En Erythrée, le régime en place ne prend même pas la peine d'en organiser.
La France s'est accommodée de ces manquements à la démocratie et a continué à soutenir des chefs d'Etat qui s'accrochaient au pouvoir pour certains depuis plusieurs décennies : 1982 pour Paul Biya (Cameroun), 1990 pour Idriss Déby (Tchad). Il existe même des pseudo-monarchies où des fils ont succédé à leurs pères décédés : Ali Bongo (Gabon), Faure Gnassingbé (Togo), Joseph Kabila (République démocratique du Congo) … Les grands perdants sont les principaux partis d'opposition. Impuissants à changer le cours des choses par les urnes, ils perdent peu à peu leur légitimité auprès de leurs électeurs lassés par tant d'élections frauduleuses. La conviction que seuls la révolution ou un changement de pouvoir par la force sont susceptibles de déboucher sur une alternance politique se renforce au sein des populations, particulièrement au sein de celles qui sont marginalisées et délaissées par les pouvoirs publics.

Ce désenchantement profite aux mouvements de rébellions ou favorisent les coups d'Etat. Les conflits internes qu'ont connus ces dernières années le Tchad, la République centrafricaine (RCA) ou le Soudan ont été en grande partie provoqués par l'absence de démocratie.

ARRÊTER LA MONOPOLISATION DU POUVOIR : Cela favorise également des mouvements extrémistes, notamment djihadistes comme dans le Sahel et le nord du Nigeria. Ils fondent leur propagande en mélangeant les ressentiments nés de la pauvreté, de la corruption et de la prédation des ressources avec le fantasme selon lequel l'Occident est toujours complice de pouvoirs népotiques et de chefs d'Etats qui s'accrochent à leur poste malgré leur âge… » [Clément Boursin (Responsable des programmes Afrique à l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture)]
 
Il est évident que la colonisation d’hier ne se manifeste pas de la même façon que celle d’aujourd’hui. Il faut simplement retenir que la colonisation reste présente. En fait, la rhétorique politique réussit toujours à présenter le mal-être des Africains comme les conséquences de leur incapacité à faire face à leurs problèmes vitaux. Cette opinion cultivée, relayée et répandue auprès de l’opinion publique occidentale à qui leurs élites, de façon atavique administre l’idée selon laquelle les Africains se battent entre eux à cause des haines ethniques et religieuses est un argumentaire qui ne résistera pas bien longtemps à l’épreuve des faits, tellement les contradictions sont grossières ; même si cette idée habite encore certains esprits naïfs. Car en réalité, c’est l’ancienne puissance coloniale qui manœuvre pour avoir des prétextes à intervenir militairement. Il importe de noter que la France a dû faire elle-même une révolution en 1789. Le message que Gauche et Droite françaises envoient donc aux populations des « anciennes colonies » est : « nous faisons avec ceux qui sont là, quels qu’ils soient puisque vous semblez vous en accommoder. » 

Comme nombre de dictateurs qui entouraient François Hollande, on voyait Alassane Ouattara qui ruse avec la paix et la réconciliation en Côte d’Ivoire. Doit-on assurer la sécurité d’un tel bourreau ? Le peuple de Côte d’Ivoire prendra Hollande à témoin quand nous imaginons que Mandela avait été un temps considéré comme un terroriste.

Enfin, il faut dire « oui » aux rapports gagnant-gagnant ! L’Afrique a besoin des Occidentaux comme les Occidentaux ont besoin de l’Afrique, sauf que les rapports Nord/Sud doivent être rebâtis sur un nouveau paradigme expurgé de tous types de relents et de préjugés.

Dr Claude Koudou : Analyste politique, Enseignant-Ecrivain ; Directeur de la Collection « Afrique Liberté » chez les Editions L’Harmattan.

dimanche 8 décembre 2013

France/Afrique : Le grand retour de la France sur le continent et la pâle figure de l'Afrique

Le GRAND retour de la France SUR LE CONTINENT ET LA PÂLE FIGURE DE L’AFRIQUE

Cinquante trois ans après les indépendance, les pays africains dévoilent à la face du monde l’incapacité de ses Etats d’assurer la sécurité des frontières intérieures et extérieures au point d’en appeler à la mère patrie, la France afin d’exercer le rôle de « gendarme » du continent noir. l'existence de l'Etat, en RCA, au Congo-Brazzaville, au Cameroun, au Gabon, au Tchad, en RDC, au Mali, au Niger , et sans doute, dans une bonne partie de l'Afrique, ressemble fort à un théâtre d'ombres, à un dispositif scénique qui consiste à faire croire à la communauté internationale, et en particulier aux bailleurs de fonds (FMI, Banque Mondiale, Club de Paris), qu'il existe en face d'eux des organismes obéissant aux mêmes règles que les leurs. A quoi servent donc les armées africaines budgétivores ?

Figuration

La présence des troupes congolaises, tchadiennes, camerounaises et gabonaises en Rca n’a pas empêché les violences, les pillages et les exactions. Quel est leur rôle ? Que font-elles en RCA ? Denis Sassou Nguesso du Congo-Brazzaville, dont l’armée était inexistante face à l’incursion des troupes angolaises à Kimongo, a envoyé 500 militaires en renfort à Bangui. Pour quoi faire ? Que peut-on espérer de telles troupes constituées d’éléments cobras dressés au pillage ? La RCA est en effet entrée dans une spirale de violences alimentée par les exactions des anciens rebelles de la Séléka, au pouvoir à Bangui depuis mars 2013, auxquelles répondent les attaques des " antibalaka ", des milices d'autodéfense opposées aux nouveaux hommes forts à Bangui. Les militaires africains de la MISCA n’ont-ils pas pour mission de s’interposer entre les belligérants en vue d’éviter les affrontements ? Si les populations de la RCA accueillent avec liesse, satisfaction et soulagement l’IntervenTion militaire française, bien de questions se posent. L’Afrique n’est-elle pas en mesure de résoudre un conflit ? Chaque fois qu’une crise éclatera, l’Afrique fera-t-elle appel à la France pour éteindre l’incendie ? Les chefs d’Etat africains sauteront-ils dans l’avion en direction de Paris pour supplier le locataire de l’Elysée d’envoyer les militaires français ? La paix et la sécurité en Afrique resteront-elles assujetties à la « bonne conscience » de Paris ? Et, pourquoi donc les Etats africains ne négocieraient-ils pas leur retour dans l’AEF et l’AOF ?

Expéditions

Hier au Mali pour traquer les islamistes jihadistes , aujourd’hui en République centrafricaine pour chasser les éléments de la séléka qui terrorisent les populations de confession chrétienne et pour éviter le conflit de s’étendre aux pays voisins (Congo-Brazzaville, Cameroun Soudan), Paris reprend du service en Afrique. Mais, l’avait-il vraiment abandonné ? Pas si sûr ! De toutes les puissances occidentales, la France est le meilleur connaisseur de l'Afrique dont, quels qu'aient été ses motifs, avouables ou pas, elle ne s'est jamais éloignée. Ses relations avec les élites, les dirigeants et les dictateurs africains francophones CORROMPUS ne se sont pas distendus mais au contraire resserrés et l'Elysée de François Hollande a ainsi vite cru bon de définir une vision africaine faite de rupture dans la continuité.

Bases

Sur le continent africain, la France de Nicolas Sarkozy voulait en 2008 ne garder que deux bases militaires permanentes, renommées " pôles de coopération ". Elle dispose aujourd'hui de onze points d'appui. Leur dispersion offre de la réactivité, défend l'état-major. Elle permet de couvrir la zone au côté des " nénuphars " que les Etats-Unis y ont posé, une dizaine de minibases dévolues au renseignement (Le Monde, 6 novembre 2013).

La pointe des pieds
Après « l’afro-pessimisme », face à l’avancée de la Chine, l’Inde et du Brésil sur le continent noir, la France affiche son « afro-optimisme ». "... Pour camoufler son désintérêt pour le continent noir, après l'avoir enfoncé jusqu'au cou avec ses pratiques de parachutage de canards boîteux (marionnettes) à la tête des pays francophones - et c'est à dessein -, la France avait ainsi décidé de passer le relais à la communauté financière internationale (les vautours) et de s'aligner sur l'orthodoxie financière des institutions de Bretton Woods et supprimer toute aide budgétaire aux Etats dont les PAS (Programmes d'Ajustement Structurel) seraient interrompus. C’était la doctrine d’Abidjan initiée par Edouard Balladur, deuxième premier ministre de la cohabitation et son conseiller Anne Le Loiret. Résultat : la part de la France en Afrique a chuté. Pour des raisons historiques, la France a plus de mal à avoir un regard objectif, serein et accueillant vis-à-vis de la modernité de l'Afrique. L’Elysée, le quay d’Orsay et Bercy n’avaient pas bien perçu que la demande d'importations de l’Afrique avait progressé à un rythme très élevé, à deux chiffres, durant plusieurs années. La baisse est notoire : les parts de marché de la France ont été divisées par trois (de 15 % à 5 %) mais, dans le même temps, les volumes d'exportations ont été multipliés par deux en vingt ans. La Chine, l'Inde, mais aussi la Corée du Sud, le Brésil, la Turquie ont pris le gros de cette très forte croissance. C'est ainsi que la Chine est passée simultanément de 1 % à 15 % (Libération, 4 novembre 2013). La France estimait que la modernité était ailleurs, qu'il fallait sortir des préférences coloniales pour conquérir l'Europe de l'Est, l'Asie et s'implanter aux Etats-Unis.

Croissance

Avec 5% de taux de croissance moyenne, l'Afrique commence à être regardée (avec exagération) comme la terre promise de l'économie mondiale. Routes, ponts, chemins de fer, hôpitaux, universités, écoles, assainissement urbain, aéroports ou télécommunications, il faut à l’Afrique, en tout cas, développer ses infrastructures, domaine où les entreprises françaises ont un savoir-faire et une expertise reconnus auxquels s'ajoute l'avantage sur leurs concurrentes chinoises de ne pas arriver avec leur main-d’œuvre mais de la former sur place. Un phénomène économique à l’origine de nombreuses frictions ENTRE LES EMPLOYEURS CHINOIS ET LES POPULATIONS AFRICAINES et auquel les autorités CURIEUSEMENT restent indifférentes. .
Il n’y a pas de continent qui ne puisse pas assurer par lui-même sa sécurité. Et , donc, son destin. Seule l’Afrique a du mal à le comprendre. En Afrique, la France est ramenée, avec l’intervention militaire en RCA, au rôle de « gendarme » à son corps défendant. Et, l’Afrique, au rôle « d’éternelle assistée » donnant raison à ceux qui valident la thèse des “aspects positifs de la colonisation. Pourtant, avec les corps expéditionnaires de la France en Afrique, un demi-siècle après les Indépendances, nous voilà revenus au temps des colonies. Qui a dit : "L'Afrique n'est pas assez rentrée dans l'Histoire ?".

Benjamin BILOMBOT BITADYS

samedi 7 décembre 2013

Afrique/Monde : Nelson Mandela à la lumière de l'Afrique et de la paix ne s'éteindra jamais !

NELSON MANDELA LUMIÈRE DE L’AFRIQUE ET DE LA PAIX NE S’ÉTEINDRA JAMAIS !

 Nelson Mandela est mort

Nelson Mandela est mort jeudi à 95 ans.

Il disait qu'il n'était « ni un saint ni un prophète ». Il déplorait qu'on le présente comme « une sorte de demi-dieu ». Il insistait sur ses « erreurs », ses « insuffisances », ses « impatiences ». Jusqu'au bout, tandis qu'on le fêtait à travers le monde, tandis que les Etats et les puissants lui tressaient des lauriers, lui dressaient des statues, lui décernaient des palmes et des récompenses, tandis qu'un peu partout on donnait son nom à des milliers d'écoles, d'universités, de rues, de places, de parcs et d'institutions diverses, jusqu'au bout il s'est voulu « un homme comme les autres, un pécheur qui essaie de s'améliorer ».
Nelson Mandela est mort à l'âge de 95 ans à son domicile de Johannesburg, a annoncé dans la soirée du jeudi 5 décembre le président sud-africain Jacob Zuma, en direct à la télévision publique. « Notre cher Madiba aura des funérailles d'Etat », a-t-il ajouté, annonçant que les drapeaux seraient en berne à partir de vendredi et jusqu'aux obsèques.

On l'a comparé, et on l'identifiera plus encore maintenant qu'il est mort, au Mahatma Gandhi, au dalaï lama, à Martin Luther King. Même charisme, même volonté farouche. L'histoire tranchera. Bill Clinton voyait en lui « le triomphe de l'esprit humain, le symbole de la grandeur d'âme née dans l'adversité ». Il est plus probable que Nelson Rolihlahla Mandela restera, pour l'Afrique, ce qu'Abraham Lincoln fut pour l'Amérique du Nord, ou Simon Bolivar pour celle du Sud : un libérateur.

Il aimait les jolies femmes, les beaux costumes, les chemises bariolées, la boxe, la musique et la danse. Divorcé deux fois, il a fait cinq enfants à deux épouses successives avant de finir sa vie avec une troisième. Il lui est arrivé de mentir, de manipuler des interlocuteurs, de pactiser avec des gens peu recommandables, de se laisser emporter par la colère, de se montrer injuste, indifférent ou dictatorial avec des proches, des collègues, voire avec ses enfants.
ÉLEVÉ POUR RÉGNER ET COMMANDER
Ce n'était ni un messager de Dieu ni un ange descendu du ciel. Pas même un pacifiste. C'était un humain, issu de la noblesse d'Afrique, un fils de chef, né dans l'orbite des étoiles, élevé pour régner et commander. Mandela était un géant comme il en éclot moins d'un par siècle sur la planète. Il faudrait une bibliothèque entière pour restituer l'œuvre du personnage. Et des centaines d'ouvrages ont déjà été écrits à travers le monde sur le destin et la pensée de ce charismatique et énigmatique vieux sage.
Aujourd'hui, on s'interroge sur l'avenir de l'Afrique du Sud, et sur la pérennité de l'héritage démocratique qu'il a laissé. Certains radicaux se demandent si « Madiba » – comme il aimait à être nommé parce que c'était le nom de son clan tribal et qu'il n'avait « jamais su » pourquoi sa première institutrice, une missionnaire britannique, lui avait attribué d'autorité le nom de Nelson à l'âge de 9 ans, alors que son vrai prénom était Rolihlahla – ne s'est pas trompé.
En 2001, lors d'une visite du président cubain Fidel Castro, à Johannesburg.
Au vu des fortes inégalités et des injustices qui perdurent dans la République « arc-en-ciel », le plus souvent au profit de la minorité blanche, certains avancent que Mandela a trop cédé à cette dernière, lui a trop pardonné. Qu'il eût peut-être mieux valu une vraie révolution accompagnée d'une véritable redistribution des richesses, des droits et des privilèges au profit de la majorité noire.
En clair, ils reprochent au « fauteur de troubles » – traduction approximative de "Rolihlahla" en langue xhosa – de s'être montré trop clément avec la minorité blanche, d'avoir assuré une transition démocratique en douceur, d'avoir instauré la règle du « un homme, une voix » et d'être ainsi devenu, le plus équitablement du monde et avec le minimum de troubles et d'affrontements possibles, le premier président noir élu par tout le peuple d'Afrique du Sud. En d'autres termes, on lui reproche ce qui restera à jamais dans l'histoire comme sa plus grande œuvre : avoir évité à son pays sans doute la plus sanglante des guerres civiles d'Afrique.
« UN IDÉAL POUR LEQUEL JE SUIS PRÊT À MOURIR »
Dès avant sa libération, le 11 février 1990, après vingt-sept années d'enfermement, cet homme d'exception était déjà un exemple pour tous les opprimés de la terre, une légende, un mythe quasi universel. Cinq phrases, prononcées en conclusion d'une plaidoirie de quatre heures à son propre procès le 20 avril 1964, lui avaient ouvert à jamais le cœur des hommes.
Ce texte, qui fit le tour du monde avant que le gouvernement minoritaire blanc de l'apartheid interdise sa diffusion et bannisse pendant trois décennies jusqu'au nom et aux traits du célèbre prisonnier de Robben Island, le voici : « J'ai dédié ma vie à la lutte pour le peuple africain. J'ai combattu la domination blanche et j'ai combattu la domination noire. J'ai chéri l'idéal d'une société démocratique et libre dans laquelle tous vivraient ensemble, dans l'harmonie, avec d'égales opportunités. C'est un idéal que j'espère atteindre et pour lequel j'espère vivre. Mais, si besoin est, c'est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir. »
Six semaines plus tard, le 11 juin 1964, Nelson Mandela, qui était en prison depuis déjà deux ans, échappait de justesse à la peine de mort et était condamné, avec huit de ses camarades de combat, à la prison à vie pour « haute trahison et tentative de renversement par la force du gouvernement » blanc.
Au cas où la potence aurait été, comme pour tant d'autres, au bout du chemin, Mandela avait préparé pour la postérité une autre petite phrase retrouvée plus tard dans ses notes de cellule : « Je veux que tous ici sachent que je vais à la rencontre de mon destin comme un homme. » Ce courage, ce panache devant une mort si injuste, ne venaient évidemment pas de nulle part. Ces qualités autant que la vision du prisonnier politique le plus célébré de l'univers accompagnèrent toute la longue vie de l'« Africain capital », comme on allait plus tard le célébrer.
LE PÈRE, CHEF DU CLAN MADIBA, BANNI DE SA TERRE
Rolihlahla Mandela naît le 18 juillet 1918 dans une hutte circulaire du village de Mvezo, dans le district d'Umtata. Peu après sa naissance, le père, chef du clan Madiba et membre de la dynastie des Thembu, qui régnait depuis des siècles sur la région du Transkei, est banni de sa terre par l'autorité coloniale blanche au motif qu'il n'était pas assez coopératif. Roi des Thembu, l'une des grandes tribus de la nation Xhosa, seconde en nombre dans le pays derrière les Zoulous, l'arrière-grand-père de Rolihlahla, mort en 1832, avait un fils appelé Mandela, source, plus tard, du patronyme familial.
Déporté dans un autre village proche, nommé Qunu – la hutte familiale existe toujours et Mandela président s'y fera construire une autre maison –, le chef destitué des Madiba, ses quatre épouses et ses treize enfants vivent chichement, mais avec dignité. Les Thembu reconnaissent son rang et, lorsque le père meurt de tuberculose, Rolihlahla, alors âgé de 9 ans, est pris en charge par le régent de la tribu. Il deviendra le premier de sa famille à aller en classe, dans une mission méthodiste.
Président, Mandela ira souvent se ressourcer dans son village, auprès de son clan. Dans ses Mémoires, il évoque « l'enfance heureuse » qu'il y mena au milieu des vaches qu'il avait à garder. « Je me souviens avoir écouté les anciens de ma tribu raconter les histoires d'autrefois, le bonheur d'autrefois et puis les guerres livrées par nos ancêtres pour défendre notre patrie » contre le colonisateur. Madiba est « fier » de ses racines tribales.
A l'ouverture de son ultime procès, le 9 octobre 1963, il se présente drapé dans un kaross, la cape traditionnelle en peau de léopard des dignitaires xhosa. « J'ai choisi de revêtir ce costume pour souligner le symbolisme de l'Africain noir dans un tribunal exclusivement blanc », explique-t-il. Mandela « le grand communicateur », qui fera si souvent merveille plus tard, qui saura, d'instinct, utiliser l'image et les médias pour avancer sa grande cause de la réconciliation entre les races, perce déjà sous le militant.
Il est conscient de son rang « jusqu'à l'arrogance », diront certains de ses amis.
Nelson Mandela, en 2007.
« On peut tout m'imposer, mais détruire ma dignité, jamais ! » Toujours poli et courtois avec ses gardiens afrikaners, à Robben Island comme dans la prison Pollsmoor où il sera transféré en 1982, il exige et obtient, malgré les mauvais traitements que tous les détenus ont à endurer, d'être traité avec respect. A la fin des années 1990, il sera l'un des rares chefs d'Etat du monde à donner du « chère Elizabeth » à la reine d'Angleterre…
« L'UNIVERSITÉ ROBBEN ISLAND »
A « l'école des Blancs », le jeune Rolihlahla, excellent élève, a appris leur histoire, leur culture. Il adore Haendel, Tchaïkovski, adule Shakespeare. Adulte, il étudiera Clausewitz et Che Guevara. En prison, il parfait ses connaissances en droit, obtient deux diplômes d'études supérieures par correspondance, partage ses acquis avec ses codétenus – au point que la plupart évoqueront en souriant « l'université Robben Island » qu'il a mise en place sur l'île forteresse.
En prison, il apprend la langue afrikaans, étudie l'histoire et la littérature de « l'ennemi », invite ses camarades à faire de même, « parce qu'un jour, dit-il, il faudra que tous les peuples de notre pays, Afrikaners compris, se comprennent pour vivre ensemble ». La vision est déjà là, solide. « La souffrance peut engendrer l'amertume ou ennoblir, explique Mgr Desmond Tutu, Prix Nobel de la paix 1984, chef de l'Eglise anglicane sud-africaine et militant infatigable de la lutte antiapartheid. Madiba a développé une générosité, une magnanimité hors du commun. »
La personnalité africaine de Mandela n'y est pas pour rien. Adolescent, il a découvert, auprès du régent des Thembu, la philosophie centrale de la culture xhosa – et de tous les peuples bantous auxquels appartiennent aussi les Zoulous et d'autres peuples noirs : l'ubuntu, une fraternité, une manière de vivre ensemble. Fondé sur un sentiment d'appartenance à une humanité plus vaste, le concept contraint ses adeptes à respecter autrui, à faire preuve de compassion, de compréhension. Il s'oppose à l'égoïsme et à l'individualisme, réputés « valeurs blanches ».
Dans le manifeste que Mandela contribue à rédiger dès 1944 pour la création de la Ligue des jeunes de l'ANC, le Congrès national africain, qui existe alors depuis trente-deux ans mais ne se faisait guère entendre, l'ubuntu, qui interprète l'univers comme un tout organique en chemin vers l'harmonie, est déjà présent. L'idée fera sa route dans d'autres documents politiques de l'ANC et jusque dans la nouvelle constitution de la nation « arc-en-ciel » de 1996.
Les Afrikaners, qui ont institutionnalisé le développement séparé – apartheid – en 1948, qui ont créé les bantoustans, régions autonomes réservées aux Noirs, privés des droits les plus élémentaires, mais ont aussi tué, torturé et emprisonné des milliers de gens parce qu'ils se rebellaient contre cet ordre inique, doivent-ils à l'Ubuntu d'avoir échappé aux massacres postapartheid ? Sans doute en partie.
PAS UN PACIFISTE
Car l'homme qui, après sa libération, poussera l'exemple du pardon jusqu'à serrer la main du procureur afrikaner qui voulait le pendre en 1964, qui rendra visite à la veuve du Dr Verwoerd, l'architecte historique de l'apartheid, le président qui mettra en place à travers le pays, et contre l'avis de ses camarades de combat, ces commissions Vérité et réconciliation, où les leaders, les serviteurs civils, policiers et militaires de l'apartheid, viendront confesser leurs crimes et demander pardon, cet homme-là, on l'a dit, n'était pas un pacifiste.
Nelson Mandela, premier président noir sud-africain.
Il ne le niera pas devant ses juges, c'est lui qui, après le massacre de Sharpeville, au cours duquel la police blanche abat plus de soixante-sept Noirs dans une manifestation en mars 1960, plaide au sein de l'ANC pour mettre un terme à la stratégie de non-violence, qui n'avait abouti, en un demi-siècle de pratique, à aucun résultat ; lui qui allait créer et diriger, à partir de juin 1961, l'Umkhonto we Sizwe, la « Lance de la nation », branche armée du mouvement. En juin 1962, après une tournée clandestine dans une douzaine de pays d'Afrique, dont l'Algérie, il est en Ethiopie.
Il endosse la tenue camouflée des guérilleros, apprend le maniement des explosifs et du pistolet-mitrailleur. Il explique que, dans les luttes pour la justice, « c'est toujours l'oppresseur qui détermine les méthodes d'action » : « S'il use de la force brute contre les aspirations populaires légitimes, s'il refuse tout dialogue significatif et de bonne foi, la meilleure méthode en toutes circonstances, parce que les conflits sont toujours mieux résolus par le cerveau que par le sang, alors les opprimés n'ont d'autre choix que de recourir eux aussi à la force. »
Arrêté dès son retour clandestin d'Ethiopie sur dénonciation d'un agent de la CIA infiltré dans l'ANC, l'homme que la presse blanche avait surnommé « le mouton noir » pour sa capacité à échapper, par des déguisements divers, à toutes les polices qui le poursuivaient depuis des mois déjà, parce que, en tant que haut dirigeant de l'ANC, il avait organisé des grèves et des campagnes de désobéissance civile à fort retentissement, Madiba entre en prison le 5 août 1962, condamné à cinq ans pour ces faits. Et pour avoir quitté le pays clandestinement.
MANDELA REFUSE LA LIBÉRATION CONTRE SON RETRAIT POLITIQUE
Dix-huit ans plus tard, alors qu'il quitte enfin l'« île du diable » pour Pollsmoor, près du Cap, le pouvoir blanc commence à mesurer l'aura particulière de son prisonnier. En février 1985, le président P.W. Botha lui offre la libération en échange de son retrait politique et d'un appel public à la cessation des violences. Mandela refuse. Une fois, dix fois, le pouvoir essaie de le tenter.
Il n'ignore pas, grâce aux rares lettres que le détenu est autorisé à écrire à sa famille – une seule tous les six mois pendant huit ans –, combien Madiba souffre de la séparation d'avec sa jeune et belle épouse, Winnie, ses deux premiers fils, leurs deux filles qu'il ne verra pas grandir. Il sait combien Mandela a souffert de ne pas avoir été autorisé à assister aux funérailles de sa mère, morte d'épuisement en 1968, puis de son fils aîné, son favori sans doute, tué dans un accident de voiture l'année suivante. Mais, rien à faire, à chaque fois, le reclus de Pollsmoor rejette les offres conditionnelles d'élargissement.
En novembre 1985, alors qu'il entre dans sa vingt-troisième année de détention, le pouvoir blanc, qui commence à vaciller, veut ouvrir des négociations directes avec lui. Tenace, il refuse encore : « Seuls les hommes libres peuvent négocier », dit-il. Dialoguer avec les geôliers, voire avec les ministres blancs qui défilent maintenant dans sa cellule, oui. Sauver le régime par quelques réformettes et concessions à la majorité noire, non.
La situation internationale aidant, la montée de l'opprobre mondial et des sanctions internationales contre le pouvoir blanc bouleverse l'équilibre des forces. Ce sont maintenant Mandela et les siens qui fixent leurs conditions à une éventuelle sortie de prison. L'ANC et ses alliés communistes et syndicalistes doivent être légalisés à nouveau. Tous les prisonniers politiques doivent être libérés, les bantoustans créés pour diviser les Noirs et réserver les richesses aux Blancs, démantelés, la règle démocratique, « un homme, une voix », acceptée.
Quatre ans plus tard, virtuellement aux abois, le gouvernement de Frederik De Klerk accepte tout. La suite est universellement connue. Le 11 février 1990, à 16 heures, Nelson Rolihlahla Mandela, en costume gris, se dirige vers la grille de sa dernière prison. La cérémonie est retransmise en mondovision.
PERSONNE OU PRESQUE NE L'AVAIT REVU
Chacun retient son souffle. Il y a plus d'un quart de siècle que personne ou presque ne l'a revu. Pas même en photo. Le héros quadragénaire "posterisé" autour du monde a maintenant 73 ans. Les années de travaux forcés dans les carrières de chaux ont brûlé ses yeux, il ne peut plus pleurer. On craint d'apercevoir un frêle vieillard, voûté, abîmé, malade peut-être. Et c'est un miracle. Il se tient, grave, droit comme un I, prenant son épouse, Winnie, par la main. "Il était la personnification de l'avenir", s'ébaudit Nadine Gordimer, écrivaine sud-africaine, Prix Nobel de littérature en 1991.
Nelson Mandela à sa sortie de prison, le 11 février 1990.
« On avait peur qu'il ne soit pas à la hauteur de son mythe, Dieu merci, ces craintes étaient infondées », s'exclame Mgr Tutu. Son premier discours d'homme libre, au Cap, est à la hauteur de l'événement. « Je me tiens ici devant vous, non comme un prophète, mais en humble serviteur (…). Mes dix mille jours d'emprisonnement sont enfin derrière moi (…). Je place les années de vie qui me restent entre vos mains. » La foule exulte. Partout dans le monde, les opprimés communient. Lui a le sentiment de marcher vers une nouvelle vie. Elle sera compliquée. Le pouvoir est en vue, pas encore entre ses mains.
Il y a des émeutes sanglantes entre les Zoulous et l'ANC, des assassinats et des règlements de comptes par milliers, une tentative meurtrière de coup d'Etat de l'extrême droite afrikaner. Il est sur tous les fronts. Tour à tour, il cajole, condamne, menace. Il s'affirme comme le chef d'Etat qu'il n'est pas encore. Et il finit par triompher.
PREMIER PRÉSIDENT SUD-AFRICAIN ÉLU DÉMOCRATIQUEMENT
Le 10 mai 1994, après quatre longues et difficiles années de négociations pied à pied avec la minorité blanche, de plaidoiries enflammées autour du monde, l'icône prête serment : il est le premier président de la République sud-africaine élu démocratiquement. Son parti a obtenu 62,6 % des voix.
« Jamais, plus jamais, ce beau pays ne vivra l'oppression des uns par les autres, lance-t-il. L'humanité ne connaîtra pas plus grand accomplissement. Que règne la liberté ! » L'homme a rejoint sa légende.
Chef de l'Etat, il donne les grandes orientations, multiplie les gestes symboliques de réconciliation. En prison déjà, « le pardon était une stratégie de survie pour lui », écrit Bill Clinton, président des Etats-Unis de 1993 à 2001. Pour le reste, il laisse son premier ministre, Thabo Mbeki, gérer le pays, plonger les mains dans le cambouis, changer les lois, passer les compromis nécessaires à la paix civile, bref, gouverner.
Madiba a prévenu qu'en raison de son grand âge et de sa soif de découvrir ce monde de jumbo-jets, de satellites et d'ordinateurs qu'il n'a pas connus, il ne ferait qu'un seul mandat. En mai 1999, il se retire de la scène politique. Trois ans plus tôt, évoquant « l'immense solitude » qui fut la sienne après sa libération aux côtés de Winnie, laquelle a multiplié les frasques et encouragé l'extrémisme, il a demandé le divorce. Fin 1993, déjà séparé d'elle, il est tombé amoureux pour la dernière fois de sa vie.
Nelson Mandela aux côtés de Graça Machel, son ultime amour.
Douce, intelligente, pleine de compassion, Graça Machel a vingt-sept ans de moins que lui. Elle est veuve du président du Mozambique, Samora Machel, disparu en 1986. Il est, dit-il, « très attiré par cette remarquable femme ». Elle l'aime aussi, ils sont vus partout ensemble, main dans la main. Le 18 juillet 1998, pour le 80e anniversaire du grand homme, Graça dit enfin oui. L'heure du départ approche.
Après 1999, peu à peu, Madiba se retire des affaires du monde, il ne commente plus les affaires politiques. Sauf exception, comme en 2003, lorsque George W. Bush, « un président qui ne sait pas réfléchir », lance l'attaque sur l'Irak. On sait que les déboires de son successeur, Thabo Mbeki, éjecté du pouvoir par ses rivaux de l'ANC, le « désespèrent ».
Mais, discipliné jusqu'au bout, il ne dit mot. Et soutient, en 2009, la candidature à la présidence d'un ex-compagnon de prison, Jacob Zuma. Il honorera encore de sa présence quelques galas de charité pour les fondations – en faveur de l'enfance surtout – qu'il patronne, participe aux campagnes internationales de lutte contre le sida et, en juillet 2010, assiste au match de clôture de la Coupe du monde de football, qui s'est tenue en Afrique du Sud.
Au crépuscule de sa longue vie, Madiba le magicien partageait son temps entre Johannesburg et le Mozambique, coulant ses derniers jours dans la paix et le silence. Auprès de Graça, son ultime amour

lundi 2 décembre 2013

(Afrique/Islam/Algérie) Mariages mixtes : Ces Algériennes qui ont épousé des subsaharien irréguliers...

Mariages mixtes : Ces Algériennes qui ont épousé des subsahariens irréguliers…, par Chahredine Berriah


mixte

Maudites, mécréantes, effrontées… Des sobriquets désignant Selma, Meriem, Nadia et bien d’autres Algériennes, depuis qu’elles ont « commis l’irréparable » en épousant le « Noir » et le « Chrétien ». Inconscience ? Défi ? Blasphème ou tout simplement la nature des choses ? Enquête.

Des Algériennes, guidées par leurs sentiments indubitables, ont scellé leur destin… à des migrants subsahariens irréguliers.

Mais, en n’écoutant que leur cœur, elles ont défié leurs familles. Elles ont bousculé une certaine culture de leur pays et heurté la sensibilité religieuse d’une  société pas encore prête à tolérer les indifférences et accepter les convictions des uns et des autres.

Fin septembre, banlieue algéroise. La brise marine fouette les visages émaciés de quelques subsahariens bercés par le rêve d’un horizon méditerranéen incertain. Un mirage insaisissable qu’ils tentent, malgré tout, d’attraper à partir d’un pays, l’Algérie, qui les tolère hypocritement… qui les rejette subtilement.
Au milieu de ce magma d’infras-humains, Julien, Camerounais, établi illégalement depuis 10 ans à Alger, accepte de nous raconter ses déboires et ceux de la femme qui a consenti à partager avec lui « le meilleur et le pire »

Un témoignage par procuration, sommes-nous tentés de dire. Car Selma, son épouse, 39 ans et cadre dans une entreprise privée, refuse de se mettre sous les feux des projecteurs par peur de représailles. « En apprenant à ses parents qu’elle aime un Camerounais, donc un noir et de confession chrétienne, elle a failli être lynchée. Aussitôt, sa famille a exigé un certificat de virginité et un test anti sida. Craignant pour sa vie, Selma n’avait pas besoin de trop réfléchir pour quitter le domicile parental et venir vivre sous mon toit » En guise de maison, une carcasse de villa louée à 13 000 DA/ mois (environ 130 euros) occupée par une quarantaine de personnes de différentes communautés de l’Afrique subsaharienne.

« Nous avons deux enfants non inscrits à l’état civil de la commune et qui  sont scolarisés dans une école privée, parce qu’aux yeux de la loi algérienne, on n’est pas reconnu comme mari et femme. Et même si nos deux petits sont nés ici, l’Algérie ne reconnaît pas le droit de sol, ils sont donc apatrides » explique-t-il, médusé et la colère à peine contenue.

Partir en quête de couples mixtes à Alger et dans ses environs, c’est comme partir en guerre, tant le sujet est tabou.

« Pourquoi cherchez-vous à fouiller dans la vie intime des gens, si ce n’est pour foutre davantage la pagaille ? » nous accueille celui qui dit s’appeler Abdallah, musulman, mais pas plus chanceux que Julien «  Ce que je peux dire, chez les Algériens, ce n’est pas uniquement la religion qui représente un frein dans le sacrement d’une union. Je dirais même que c’est un gros prétexte pour nous rejeter. C’est notre couleur qui est l’inconvénient, sinon comment expliquer que vous acceptez que vos filles et vos garçons épousent des Européens et des Européennes de confession chrétienne ? J’ai la réponse, parce qu’ils sont de l’Occident, donc de couleur blanche. C’est une question de racisme… »

Meriem est une des seules algériennes qui a accepté de raconter son amertume, avec la condition, toutefois, de ne citer ni son vraiment prénom, ni la ville où elle réside, encore moins sa profession. Un pacte vite signé avec celle qui dit avoir trouvé la solution à son problème en convolant en justes noces dans le pays de son conjoint, le Mali. « J’ai, en fait, contourné la loi de mon pays et ce n’est pas interdit » confesse, d’emblée, Meriem, fonctionnaire.

Pourtant, cela ne lui a pas permis d’obtenir la bénédiction de sa famille, ni bénéficier des lois de son pays. « C’est comme dirait l’autre, en Algérie, je suis mariée religieusement et légitimement, étant donné que mon mari est musulman, mais civilement, on n’est pas reconnu comme tels… » et de continuer, éplorée, « Parce que j’ai daigné épouser un noir, il faut appeler un chat, un chat, je suis reniée par mes parents, maudite par mon quartier et rejetée par mes collègues de travail. Un poids lourd à porter pour une femme qui n’a cherché qu’un bout de bonheur sans s’assujettir aux règles irrationnelles d’un environnement rétrograde… »
L’avis d’un théologien, imam d’une mosquée à Alger, est nette : « La femme algérienne a le doit d’épouser qui elle veut, Subsaharien, Américain, Indien ou Chinois, pour peu que son époux soit musulman ou s’il ne l’est pas, il a l’obligation de se convertir à l’Islam. Sinon, l’union sera considérée comme de la fornication et donc un péché »

Un député du parti au Pouvoir (front de libération nationale), le docteur Boualem Bousmaha, président de la commission des relations extérieures à l’Assemblée populaire nationale (Parlement algérien) a souligné à El Watan, lors d’un bref entretien, que « L’Algérie ne s’est jamais départie de ses engagements humanitaires vis-à-vis de tous les peuples, qu’ils soient du Sahara occidental, de la Syrie ou de l’Afrique subsaharienne. Mais, que ceux qui sont établis illégalement sur le territoire algérien et veulent bénéficier des droits de scolarité et de santé doivent se conformer aux lois algériennes et aux textes et traités internationaux régissant l’immigration clandestine » Une déclaration vague qui est loin de rassurer des milliers de subsahariens dont une majorité résidant depuis des années dans les villes algériennes, souhaitent obtenir un titre de séjour, un contrat de travail ou carrément la nationalité algérienne.

Justement, en plus donc de la religion et d’une  grande frange de la société algérienne condamnant ce type de mariages mixtes, la loi algérienne n°08-11 du 25 juin 2008 relatives aux conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers en Algérie, est encore plus dissuasive et répressive, puisque dans son article 48, elle stipule « Le fait de contracter un mariage mixte, aux seules fins d’obtenir, ou de faire obtenir,  une carte de résident, ou aux seules fins d’acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité algérienne, est puni d’un emprisonnement de deux à cinq ans  et d’une amende de 50 000 à 500 000 dinars algériens » ( environs 5 00 à 5 000 euros)

Et comme les lois sont trop rigides, les migrants irréguliers usent fatalement de subterfuges pour ne pas tomber sous le coup de cette loi et échapper à la répression, comme nous l’explique Soulimane « Sachant que je n’ai droit qu’à trois mois de séjour en Algérie, avant que ce délai n’expire, je quitte le territoire en direction de mon pays ou de la Tunisie et je retourne en Algérie le jour même ou 24 heures plus tard. Comme cela, je gagne trois autres mois de séjour. J’ai recours à ce procédé depuis 10 ans. Quant au travail, ici, on est très sollicités parce que l’Algérie manque beaucoup de main-d’œuvre. Parmi nous, il y a des artisans (maçons, peintres en bâtiment, agriculteurs…) Il faut dire qu’on ne chôme pas. Alors, pourquoi l’Etat algérien s’obstine à ne pas régulariser notre situation ? »

Nadia, la quarantaine exprime son raz le bol « Quand j’ai connu un subsaharien à Maghnia, on m’a prise pour une folle. N’y a-t-il plus de jeunes algériens pour que tu portes ton dévolu sur un noir ? » m’ont-ils dit. «Puis ressentant un  peu de gêne en faisant référence à la couleur de mon ami, ils se sont ravisés en évoquant la religion. Je leur ai bouclé le bec en leur apprenant  que mon mari avait pris le soin de se convertir à l’Islam en public (dans une mosquée) avant de demander ma main. Aujourd’hui, on ne me désigne plus par mon prénom  Nadia, mais par  le sobriquet de « la femme du noir… »

Couturière, la « femme du noir » fait remarquer sur un ton d’humour, mais le verbe amer « La vérité, c’est qu’on ne veut pas d’un black pour épouser une blanche, mais on fait la chaîne devant chez moi pour que mon black leur répare leurs téléphones portables  en professionnel et à bas prix». Comme quoi, on n’en a que faire d’un « kahlouch », mais de ses mains habiles et de son intelligence, si… !

« Mon travail s’inscrit dans la volonté de briser les tabous imposés par l’islam des rigoristes, d’arrimer cette religion magnifique aux données du temps présent (…) Les fondamentalistes nous ont mis en coupe réglée avec un vocabulaire bien précis: fatwa, jihad, hallal, haram, qui s’est insinué dans le quotidien, nous empêchant de prendre la parole. Or, nous pouvons combattre cela sur le plan des idées, en créant un nouveau vocabulaire, moderne, qui n’a pas peur -pour autant- de se référer à l’islam… » souligne dans une de ses interventions dans le site français d’actualité, Le Huffington Post du 6 octobre 2013, Malek Chebel  Anthropologue algérien  des religions, spécialiste de l’Islam et directeur de la revue Noor.

Enquête réalisée par Chahredine Berriah
Source: http://www.elwatan.com/actualite/mariages-mixtes-ces-algeriennes-qui-ont-epouse-des-subsahariens-irreguliers-30-11-2013-236920_109.php