Conseil des droits de l’homme
Groupe de travail sur la détention arbitraire VERSION NON EDITEE
Avis adoptés par le Groupe de travail sur la détention arbitraire à sa soixante-onzième session,
17 au 21 novembre 2014
No 22/2014 (République du Congo)
Communication adressée au Gouvernement le 28 juillet 2014
Concernant Mbanza Judicaël, Kimangou Joseph, Miakamouna
Nzingoula Sylvain, Bibila Gilbert, Mabiala Mpandzou Paul Marie,
Tsiakala Valentin, Baboyi Antoine, Silaho René, Matimouna
Mouyecket
Euloge, Kialounga Pierre Placide, Tandou Jean Claude Davy, Ngoma
Sylvain Privat, Banangouna Dominique Mesmin, Loudhet Moussa Landry1.
Le Gouvernement n’a pas répondu à la communication.
L’État est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques par une accession le 5 octobre 1983.
1. Le Groupe de travail sur la détention arbitraire a été créé par
la résolution 1991/42 de la Commission des droits de l'homme. Son
mandat a été précisé et renouvelé par la Commission dans sa résolution
1997/50. Le Conseil des droits de l’homme a assumé le mandat dans sa
décision 2006/102. Le mandat a été prolongé d’une nouvelle période de
trois ans par la résolution 15/8 du Conseil, en date du 30 septembre
2010. Le mandat a été prolongé d’une nouvelle période de trois ans par
la résolution 24/7 du Conseil, en date du 26 septembre 2013.
Conformément à ses méthodes de travail (A/HRC/16/47, annexe), le Groupe
de travail a transmis la communication susmentionnée au Gouvernement.
2. Le Groupe de travail considère que la privation de liberté est arbitraire dans les cas suivants:
1
Le Groupe de travail a retenu ici les noms tels que orthographiés dans
l’arrêt rendu le 31 mars 2014 par la chambre d’accusation de la Cour
d’appel de Pointe-Noire.
GE.14-
a) Lorsqu'il est manifestement impossible d’invoquer un quelconque
fondement légal pour justifier la privation de liberté (comme dans le
cas où une personne est maintenue en détention après avoir exécuté sa
peine ou malgré l’adoption d’une loi d’amnistie qui lui serait
applicable) (catégorie I);
b) Lorsque la privation de liberté
résulte de l’exercice de droits ou de libertés garantis par les articles
7, 13, 14, 18, 19, 20 et 21 de la Déclaration universelle des droits de
l’homme et, en ce qui concerne les États parties au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, par, les articles 12, 18, 19,
21, 22, 25, 26 et 27 de cet instrument
(catégorie II);
c)
Lorsque l’inobservation, totale ou partielle, des normes
internationales relatives au droit à un procès équitable, établies dans
la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans les instruments
internationaux pertinents acceptés par les États intéressés, est d’une
gravité telle qu’elle rend la privation de liberté un caractère
arbitraire
(catégorie III);
d) Lorsque des demandeurs
d’asile, des immigrants ou des réfugiés font l’objet d’une rétention
administrative prolongée, sans possibilité de contrôle ou de recours
administratif ou juridictionnel (catégorie IV);
e) Lorsque la
privation de liberté constitue une violation du droit international pour
des raisons de discrimination fondée sur la naissance, l’origine
nationale, ethnique ou sociale, la langue, la religion, la situation
économique, l’opinion politique ou autre, le sexe, l’orientation
sexuelle, le handicap ou toute autre situation, et qui tend ou peut
conduire à ignorer le principe de l’égalité des droits de l’homme
(catégorie V).
Informations reçues
Communication de la source
3.
La source relate que le 21 août 2013, une réunion de travail des
membres du Cercle des Démocrates et Républicains du Congo (CDRC) se
tenait à la résidence du viceprésident du parti, M. Miakamouna Nzingoula
Sylvain, sis quartier Mpaka « Belle vie » à Pointe Noire. Des agents de
police et de gendarmerie de Pointe-Noire auraient surgi à 08h00 et
emmené tous ceux présents. Les autres membres et sympathisants ont été
arrêtés par ces agents le même jour soit sur la voie publique, soit chez
eux et ce sans mandat. Toutes ces personnes ont été placées en
détention à la maison d’arrêt de Pointe-Noire. Ces arrestations feraient
suite à une marche de protestation tenue plus tôt le jour même et au
cours de laquelle ces personnes auraient brandi des pancartes
mentionnant « Carton rouge = démission du gouvernement », ce qui, selon
la source, aurait été qualifié de rébellion par l’État congolais et
justifierait leur arrestation. Les officiels auraient pourtant déclaré
que ces personnes ne seraient pas arrêtées, n’ayant commis ni
infraction, ni violation des lois de la République.
4. Dans les
différentes pièces du dossier soumis au Groupe de travail, les personnes
encore en détention concernées par la plainte sont identifiées comme
suit :
(i) M. Mbanza Judicaël, né le 23 août 1984 à Kinkala,
est de nationalité congolaise. Il est sans emploi, célibataire et père
de sept enfants. Non soumis aux obligations militaires, il semble
n’avoir jamais été condamné ni poursuivi en justice. Membre du CDRC, il
est domicilié au quartier Ngoyo à Pointe-Noire ;
(ii)
M. Kimangou Joseph, né le 6 octobre 1963 à Mindouli, est de nationalité
congolaise. Il est chauffeur de taxi, célibataire et père de six
enfants. Non soumis aux obligations militaires, il semble n’avoir jamais
été condamné ni poursuivi en justice. Membre du CDRC, il est domicilié
au quartier Ngoyo à Pointe-Noire;
(ii) M. Miakamouna Nzingoula
Sylvain, né vers 1951 à Kigoma, est de nationalité congolaise. Il est
médecin anesthésiste, marié et père de sept enfants. Non soumis aux
obligations militaires, il aurait été, par le passé, condamné en justice
(un an d’emprisonnement avec sursis). Vice-président du CDRC, il est
domicilié au quartier Mpaka « Belle vie » à Pointe-Noire;
(iv) M.
Bibila Gilbert, né le 13 février 1958 au village Kivimba, District de
Ngoma-Tsé-Tsé, est de nationalité congolaise. Il est enseignant au
lycée, célibataire et père de trois enfants. Non soumis aux obligations
militaires, il semble n’avoir jamais été condamné ni poursuivi en
justice. Secrétaire général du CDRC, il est domicilié au quartier Ngoyo à
Pointe-Noire;
(v) M. Mabiala Mpandzou Paul Marie, né le 3 mai
1972 à Massangi dans la Bouenza, est de nationalité congolaise. Il est
photographe, célibataire et père de quatre enfants. Non soumis aux
obligations militaires, il semble n’avoir jamais été condamné ni
poursuivi en justice. Membre du CDRC, il est domicilié au quartier Mpaka
à Pointe-Noire;
(vi) M. Tsiakaka Valentin, né le 14 février 1968
à Vindza, est de nationalité congolaise. Il est chauffeur, célibataire,
et père de cinq enfants. Non soumis aux obligations militaires, il
semble n’avoir jamais été condamné ni poursuivi en justice. Membre du
CDRC, il est domicilié au quartier Mpaka à Pointe-Noire;
(vii) M.
Baboyi Antoine, né le 7 septembre 1960 à Linzolo, est de nationalité
congolaise. Il est chauffeur de profession. Non soumis aux obligations
militaires, il semble n’avoir jamais été condamné ni poursuivi en
justice. Membre du CDRC, il est domicilié au quartier Mpaka à
Pointe-Noire;
(viii) M. Silaho René, né vers 1951 au village
Ngampoko, est de nationalité congolaise. Il est retraité. Non soumis aux
obligations militaires et se dit n’avoir jamais été condamné ni
poursuivi en justice. Membre du CDRC, il est domicilié au quartier Mpaka
à Pointe-Noire;
(ix) M. Matimouna Mouyecket Euloge, né le 17
avril 1984 à Baratier, est de nationalité congolaise. Il est chauffeur
de profession. Non soumis aux obligations militaires, il semble n’avoir
jamais été condamné ni poursuivi en justice. Membre du CDRC, il est
domicilié au quartier Mpaka à Pointe-Noire;
(x) M. Kialounga
Pierre Placide, né le 22 novembre 1966 à Pointe-Noire, est de
nationalité congolaise. Il est sans emploi et non soumis aux obligations
militaires. Il semble n’avoir jamais été condamné ni poursuivi en
justice. Membre du CDRC, il est domicilié au quartier Mpaka à
Pointe-Noire;
(xi) M. Tandou Jean Claude Davy, né le 9 août 1974 à
Hamon, est de nationalité congolaise. Il est sans emploi et non soumis
aux obligations militaires. Il semble n’avoir jamais été condamné ni
poursuivi en justice. Membre du CDRC, il est domicilié au quartier Mpaka
à Pointe-Noire;
(xii) M. Ngoma Sylvain Privat, né le 3 septembre
1984 à Brazzaville, est de nationalité congolaise. Il est chauffeur de
profession. Non soumis aux obligations militaires, il semble n’avoir
jamais été condamné ni poursuivi en justice. Membre du
CDRC, il est domicilié au quartier Mpaka à Pointe-Noire;
(xiii)
M. Banangouna Dominique Mesmin, né le 31 mars 1976 à Moussana, est de
nationalité congolaise. Il est soudeur-peintre. Non soumis aux
obligations militaires, il semble n’avoir jamais été condamné ni
poursuivi en justice. Membre du CDRC, il est domicilié au quartier Mpaka
à Pointe-Noire;
(xiv) M. Londhet Moussa Landry, né le 8 juin
1977 à Brazzaville, est de nationalité congolaise. Il est électricien
bâtiment. Non soumis aux obligations militaires, il semble n’avoir
jamais été condamné ni poursuivi en justice. Membre du CDRC, il est
domicilié au quartier Mpaka à Pointe-Noire;
5. La source rapporte
que le président du CDRC, M. Modeste Boukadia, aurait téléphoné aux
responsables pour connaître la raison de ces arrestations. Les officiels
semblaient surpris de cet appel, induisant que la véritable cible des
arrestations serait M. Boukadia lui-même, ce qui fut, toujours selon la
source, confirmé par l’envoi d’un deuxième escadron pour tenter de
l’intercepter et par la fermeture des frontières de PointeNoire. La
source informe qu’un mandat d’arrêt vise d’ailleurs le président du CDRC
pour chef de rébellion à la suite de meetings populaires tenus à
Brazzaville le 11 mai 2013, et à Pointe-Noire le 29 juin 2013, et qui
auraient été qualifiés par le Président de la République du Congo comme
une « atteinte à la sûreté de l’État, une insurrection et une incitation
de la population à la révolte ».
6. La source rapporte que le
Procureur de la République du Congo aurait déclaré que le dossier était
vide et que seule une décision politique pourrait autoriser la mise en
liberté des personnes, la justice n’ayant aucun élément pour justifier
leur inculpation. De ce fait, le président du CDRC, M. Boukadia, aurait
écrit au Garde des Sceaux de la République du Congo le 13 septembre
2013, afin de faire part des intentions pacifiques du CDRC et de
demander la libération immédiate des personnes. Selon la source, cette
lettre resta sans réponse. Par ailleurs, selon la source, M. Boukadia
aurait adressé la même requête au Président de la République du Congo
dans une lettre du 10 octobre 2013, qui resta également sans réponse. La
source rapporte que celui-ci aurait pourtant, par l’intermédiaire du
Ministre de la justice, promis de libérer ces personnes. La source
semble même convaincue que le Président aurait signé un ordre de
libération.
7. La source rapporte que les 14 détenus membres et
militants du parti sont restés emprisonnés à la maison d’arrêt de
Pointe-Noire malgré une telle mesure. La source ajoute que certains
d’entre eux sont malades et n’ont pas bénéficié des soins nécessaires.
8.
Dans les pièces soumises au Groupe de travail par la source figure une
ordonnance rendue le 23 octobre 2013, par le Tribunal de Grande
Instance de Pointe-Noire inculpant 28 personnes, dont les 14 membres du
parti susmentionnés, de rébellion et décidant la transmission des pièces
au procureur général près de la Cour d’appel de Pointe-Noire.
9.
La source informe que le président du CDRC, M. Boukadia, après avoir
porté les faits à l’attention de la France et de l’Union Européenne,
aurait, dès le 18 décembre 2013, soumis un dossier contre le Président
de la République du Congo, le Garde des Sceaux du Congo et l’État
congolais auprès de la Cour Pénale Internationale, et porté plainte
devant le Tribunal de Grande Instance de Paris et le Procureur de la
République de Paris. 10. Selon les informations reçues, la chambre
d’accusation de la Cour d’appel de PointeNoire a rendu un arrêt le 31
mars 2014, à l’encontre des mêmes personnes visées par l’ordonnance du
23 octobre 2013. Cet arrêt prononce leur mise en accusation devant la
Cour Criminelle de Pointe-Noire pour atteinte à la sûreté intérieure de
l’État (faits prévus par les articles 87 du code pénal, 195 et 198 du
code de procédure pénale) et ordonne leur maintien en détention.
11.
Cet acte d’accusation précise que suite aux meetings populaires, le
CDRC aurait décidé de l’organisation d’une marche. Deux réunions
préparatoires à cette marche se seraient tenues le 20 août 2013. Le 21
août 2013, le jour de la marche, les militants auraient arboré des
pancartes « Gouvernement d’union nationale » et « Carton rouge =
démission du gouvernement ». La force publique serait alors intervenue
pour faire respecter l’ordre après que des barricades enflammées aient
été posées sur les voies, procédant à l’arrestation de ces personnes et à
la saisie de matériel à leur domicile respectif. Cette saisie
comprenait un tableau affichant les ambitions du parti, à savoir la
mention de la
Constitution d’un futur État du Congo Sud. Ces
personnes auraient avoué que le but de la marche était bien la mise en
place d’un gouvernement d’union nationale, raison pour laquelle la
chambre d’accusation aurait décidé de les inculper pour atteinte à la
sûreté intérieure de l’État.
12. Selon la source, un procès
aurait eu lieu le 7 avril 2014, devant la Cour Criminelle de
Pointe-Noire au cours duquel les 14 personnes susmentionnées étaient
assistées par des avocats et des organismes de défense des droits de
l’homme, sans qu’aucun jugement au premier degré ne soit jamais
intervenu. La source rapporte aussi que le Préfet de PointeNoire aurait
été convoqué à la barre pour apporter les preuves de l’atteinte à la
sûreté de l’État mais qu’il ne s’était pas présenté.
13. Selon
les informations reçues, un jugement aurait été rendu le 9 avril 2014,
mais il a été impossible d’en obtenir une copie. Ce jugement n’aurait
pas été publié et, toujours selon la source, les journaux auraient
interdiction de le diffuser, même si certains médias ont pu en faire
mention. Selon les informations reçues, sur les 28 personnes visées dans
l’acte d’accusation, 13 auraient été libérées et les 14 autres, objet
de la présente communication, auraient été condamnées à des peines de
détention ferme. Les peines seraient les suivantes : 7 ans pour MM.
Miakamouna Nzingoula Sylvain, Mabiala Mpandzou Paul Marie et
Tsiakaka
Valentin ; 5 ans pour MM. Mbanza Judicaël, Kimangou Joseph, Bibila
Gilbert, Baboyi Antoine, Silaho René, Matimouna Mouyecket Euloge,
Kialounga Pierre Placide, Tandou Jean Claude Davy et Banangouna
Dominique Mesmin ; et 2 ans pour MM. Londhet Moussa Landry et Ngoma
Sylvain Privat.
14. Selon la source, ces 14 personnes auraient
finalement été transférées le 18 juillet 2014, de la maison d’arrêt de
Pointe-Noire vers Brazzaville dans un lieu inconnu et sans que les
raisons d’un tel transfert n’aient été communiquées. Ces personnes
seraient depuis lors détenues dans un lieu inconnu jusqu’à ce jour.
15.
La source allègue que ces détentions seraient arbitraires en ce
qu’elles résulteraient d’une violation des articles 9, 19 et 20 de la
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et 9, 19 et 21 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques relatifs à la
liberté d’opinion, d’expression, le droit de réunion et relevant de fait
de la catégorie II des catégories applicables par le Groupe de travail.
16. Selon la source, la détention serait également arbitraire et relèverait de la catégorie
III
des catégories applicables par le groupe de travail, les garanties d’un
procès équitable n’ayant pas été respectées. Ainsi, l’absence de mandat
de dépôt, les délais d’inculpation et de jugement et l’absence de
premier degré de juridiction seraient la violation directe des articles
10 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et 14 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques.
Réponse du Gouvernement
17.
Dans une lettre datée du 28 juillet 2014, le Groupe de travail a
transmis les allégations ci-dessus au Gouvernement congolais et lui a
demandé des informations détaillées sur la situation actuelle des 14
personnes dont il est ici question, ainsi qu’une clarification
concernant les bases juridiques justifiant leur mise en détention.
18.
Le Groupe de travail regrette que, jusqu’à ce jour, le Gouvernement
n’ait pas répondu aux allégations qui lui ont été transmises ni demandé
de prolongation du délai imparti pour soumettre une réponse,
conformément aux paragraphes 15 et 16 des Méthodes de travail.
19.
Malgré le défaut de réponse du Gouvernement, le Groupe de travail
estime qu’il est en mesure de rendre son avis sur la détention des 14
membres du CDRC, conformément au paragraphe 16 de ses Méthodes de
travail, en ne se fondant que sur les informations fournies par la
source.
Discussion
20. Au prime abord, le Groupe de
travail est d’avis que le regroupement de l’ensemble des dossiers
concernant Messieurs Mbanza Judicaël, Kimangou Joseph, Miakamouna
Nzingoula Sylvain, Bibila Gilbert, Mabiala Mpandzou Paul Marie, Tsiakaka
Valentin, Baboyi Antoine, Silaho René, Matimouna Mouyecket Euloge,
Kialounga Pierre Placide, Tandou Jean Claude Davy, Ngoma Sylvain Privat,
Banangouna Dominique Mesmin, et Londhet Moussa Landry est justifié en
raison de l’identité des faits qui ont conduit à leur détention et leur
condamnation, telles que rapportées par la source.
21. L’article
9 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme dispose que
« nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ni exilé », et
interdit donc toute arrestation ou détention arbitraire. Cette
interdiction constitue une règle fondamentale du droit international
coutumier et est reconnue comme une norme impérative du droit
international général, ou jus cogens . Cette même norme est inscrite
aussi bien à l’article 9 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques auquel la République du Congo est partie, que dans
la Constitution de la République du Congo en date du 20 janvier 2002
dans son article 9 .
22. En outre, les articles 19 et 20 de la
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ainsi que les articles 19
et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
garantissent l’exercice du droit à la liberté d’opinion et d’expression
ainsi que la liberté de réunion et d’association pacifiques. La
diffusion d’informations et d’opinions politiques par les membres d’un
parti est au cœur de ces droits et des restrictions ne peuvent être
imposées que dans le respect d’une stricte proportionnalité. Ces
restrictions doivent de plus être prévues par la loi.
23. Le
Comité des droits de l’homme apporte, au paragraphe 25 de son
Observation générale n°34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté
d’expression, un éclairage sur l’application de la règle qui figure à
l’article 19 du Pacte susmentionné. En effet, le Comité affirme que
« pour être considérée comme une ‘loi’, une norme doit être libellée
avec suffisamment de précision pour permettre à un individu d’adapter
son comportement en fonction de la règle et elle doit être accessible
pour le public ». Les lois doivent énoncer des règles suffisamment
précises pour permettre aux personnes chargées de leur application
d’établir quelles formes d’expression sont légitimement restreintes et
quelles formes d’expression le sont indûment.
24. Le
Comité des droits de l’homme indique aussi, au paragraphe 34 de la même
Observation générale, que « les restrictions ne doivent pas avoir une
portée trop large » et qu’elles doivent être conformes au principe de
proportionnalité. En outre, selon le Comité, un État doit, pour
justifier une restriction, démontrer « de manière spécifique et
individualisée la nature précise de la menace ainsi que la nécessité et
la proportionnalité de la mesure particulière prise, en particulier en
établissant un lien direct et immédiat entre l’expression et la menace »
.
25. Pour sa part, le Groupe de travail a déjà eu à apprécier
dans sa jurisprudence antérieure la question des infractions pénales
définies de manière trop large .
26. Par ailleurs, le Groupe de
travail a indiqué dans sa Délibération n°8 sur la privation de liberté
liée à l’utilisation de l’Internet ou résultat de cette utilisation que
toute référence vague et générale aux intérêts de sécurité nationale ou
d’ordre public non assortie d’explications ou de faits adéquats est
insuffisante pour convaincre le Groupe de travail que les restrictions
de la liberté d’expression par le biais d’une mesure de privation de
liberté étaient nécessaires (E/CN.4/2006/7, para. 43).
27. Selon
la source, l’ordonnance du Tribunal de Grande Instance de Pointe-Noire a
inculpé les membres du CDRC de rébellion. Or, la rébellion consiste en
une opposition violente à une personne dépositaire de l’autorité
publique agissant dans l’exercice légitime de ses fonctions. En
l’occurrence, le fait que les membres du CDRC aient brandi des pancartes
mentionnant « Gouvernement d’union nationale » ou « Carton rouge =
démission du gouvernement » ne saurait correspondre à la définition de
la rébellion. Il s’agit du simple exercice du droit à la liberté
d’expression. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de PointeNoire le 31
mars 2014, précise que les membres du CDRC auraient également incité et
excité les habitants des quartiers de Ngoyo et de Mpaka à se rebeller
contre l’autorité du chef de l’Etat et auraient soutenu, implicitement,
l’idéal de la partition du Congo en entités Nord et Sud. Elle ajoute que
certains militants et sympathisants du CDRC auraient constitué des
barricades avec des pneumatiques enflammées et des épaves de véhicules.
Le Groupe de travail considère que ces faits, s’ils étaient avérés,
n’atteignent pas le seuil de violence nécessaire pour être considérés
comme des actes de rébellion.
28. La Cour d’appel de Pointe-Noire
serait allée plus loin que l’ordonnance en invoquant une atteinte à la
sûreté intérieure de l’État, conformément aux articles 87 du code pénal
et aux articles 195 et 198 du code de procédure pénale. La notion
d’« atteinte à la sûreté intérieure de l’État » est vague et imprécise.
Elle ne permet pas d’établir quels comportements sont légitimement
susceptibles d’être restreints. De plus, malgré les tensions existantes
au Congo, le Groupe de travail estime que ces faits ne sont pas
suffisants pour constituer objectivement une « atteinte à la sûreté
intérieure de l’État ». Par ailleurs, la nécessité et la
proportionnalité de la détention n’ont pas été démontrées par le
Gouvernement et elles ne sauraient être présumées par le Groupe de
travail en l’absence de toute preuve rapportée par le Gouvernement, soit
directement soit au cours de la procédure judiciaire interne. Le Groupe
de travail note que le Préfet de Pointe-Noire, un agent de l’Etat,
aurait été convoqué à la barre pour apporter les preuves de l’atteinte à
la sûreté de l’Etat, mais qu’il ne serait pas présenté.
29. Le
Groupe de travail conclut donc que la privation de liberté des 14
membres du CDRC est contraire aux articles 9, 19 et 20 de la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme ainsi qu’aux articles 9, 19 et 21 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il faut
rappeler, une fois encore, que ces normes à la fois coutumières et
conventionnelles s’imposent à la République du Congo.
30.
Concernant le droit à un procès équitable, la source a indiqué que les
agents de police et de gendarmerie de Pointe-Noire auraient procédé aux
arrestations sans mandat tandis que l’ordonnance du Tribunal de Grande
Instance de Pointe-Noire inculpant 28 personnes de rébellion, dont les
14 actuellement détenues, n’aurait été rendue que le 23 octobre 2013,
c’est-à-dire deux mois après l’arrestation. Le Groupe de travail en
déduit une violation de l’article 9 (2) du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques selon lequel « tout individu arrêté
sera informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette
arrestation et recevra notification, dans le plus court délai, de toute
accusation portée contre lui ».
31. À l’égard des allégations de
la source au sujet du délai écoulé entre l’arrestation et le jugement,
le Groupe de travail constate qu’un délai de plus de sept mois est
contraire aux articles 9 (3) et 14 (3)( c) du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques qui reconnaissent à tout
individu arrêté ou détenu pour une infraction pénale le droit d’être
traduit dans le plus court délai devant un juge et d’être jugé dans un
délai raisonnable.
32. La source a également déclaré avoir été
privée de son droit au double degré de juridiction selon lequel après un
premier jugement, un appel peut être interjeté. Ce principe est
implicitement reconnu à l’article 14 (5) du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques selon lequel « toute personne déclarée
coupable d’une infraction a le droit de faire examiner par une
juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation,
conformément à la loi ». En l’occurrence, la source déclare que le
procès aurait eu lieu le 7 avril 2014, devant la Cour Criminelle de
Pointe-Noire, formation spécifique de la Cour d’appel, sans qu’aucun
jugement au premier degré ne soit intervenu. Le Groupe de travail en
conclut une violation de l’article 14 (5) du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques.
33. Le Groupe de travail
considère que l’inobservation des normes internationales relatives au
droit à un procès équitable est d’une gravité telle qu’elle rend la
privation de liberté arbitraire.
34. De plus, la source a précisé
que les 14 détenus auraient été transférés le 18 juillet 2014, de la
maison d’arrêt de Pointe-Noire vers Brazzaville dans un lieu inconnu et
sans que les raisons d’un tel transfert ne soient communiquées. Le
Groupe de travail tient à souligner que, conformément au principe 16 de
l’Ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes
soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement adopté
par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 43/173 du 9
décembre 1988, « la personne détenue ou emprisonnée pourra aviser ou
requérir l’autorité compétente d’aviser les membres de sa famille ou,
s’il y a lieu, d’autres personnes de son choix (…) de son transfert et
du lieu où elle est détenue ».
35. Ce principe est également
énoncé à la règle 44 de l’Ensemble de règles minima pour le traitement
des détenus adopté par le premier Congrès des Nations Unies pour la
prévention du crime et le traitement des délinquants, tenu à Genève en
1955 et approuvé par le Conseil économique et social dans ses
résolutions 663 C (XXIV) du 31 juillet 1957 et 2076 (LXII) du 13 mai
1977. Le Groupe de travail est d’avis que le transfert des prisonniers
violent les normes susmentionnées.
36. D’après les informations
rapportées par la source, lors de leur emprisonnement à la maison
d’arrêt de Pointe-Noire, certains des 14 détenus auraient été malades et
seraient restés sans soin. Toutefois la source n’ayant rapporté aucune
preuve d’une telle situation, le
Groupe de travail ne saurait
conclure qu’il y a eu une violation des droits des détenus. Mais le
Groupe de travail estime qu’il est nécessaire de rappeler à la
République du Congo ses obligations en matière de traitement des
détenus, conformément aux normes internationales.
Avis et recommandations
37. À la lumière de ce qui précède, le Groupe de travail rend l’avis suivant :
La
privation de liberté de Messieurs Mbanza Judicaël, Kimangou Joseph,
Miakamouna Nzingoula Sylvain, Bibila Gilbert, Mabiala Mpandzou Paul
Marie, Tsiakaka Valentin, Baboyi Antoine, Silaho René, Matimouna
Mouyecket Euloge, Kialounga Pierre Placide, Tandou Jean Claude Davy,
Ngoma Sylvain Privat, Banangouna Dominique Mesmin, et Londhet Moussa
Landry est arbitraire ; elle est contraire aux articles 9, 19 et 20 de
la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ainsi qu’aux articles
9, 14, 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques. Par conséquent, elle relève des catégories I, II et III des
critères applicables à l’examen des affaires soumises au Groupe de
travail.
38. En conséquence, le Groupe de travail prie le
Gouvernement de la République du Congo de procéder sans attendre à la
libération de ces personnes susmentionnées et de prendre les mesures
nécessaires pour remédier au préjudice matériel et moral subi par ces
personnes, en prévoyant une réparation raisonnable et appropriée
conformément à l’article 9 (5) du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques.
39. Le Groupe de travail rappelle que le
Conseil des droits de l’homme a demandé à tous les États de coopérer
avec le Groupe de travail, de tenir compte de ses avis et de prendre des
mesures appropriées pour remédier à la situation des personnes privées
de leur liberté, ainsi que d’informer le Groupe de travail des mesures
qu’ils ont prises . En conséquence, le Groupe de travail requiert la
coopération pleine et entière de la République du Congo dans la mise en
œuvre de cet avis pour effectivement remédier à une violation du droit
international.
[Adopté le 19 novembre 2014]