« Le temps de la Françafrique est révolu. »
- Oui monsieur Hollande, mais les actes, c’est maintenant !
Par Lawœtey-Pierre AJAVON
Enseignant-chercheur
en Histoire et en Anthropologie, Lawoetey-Pierre AJAVON est Docteur
3ème cycle en Ethnologie et Docteur d'Etat ès Lettres et Sciences
Humaines (Anthropologie des Sociétés Orales). Il est auteur de plusieurs
articles dans des revues spécialisées, et d'un ouvrage « Traite et
esclavage des Noirs, quelle responsabilité africaine ? » paru aux
éditions Ménaibuc à Paris.
Le 14ème sommet de la francophonie a
vécu. Sans doute également la Françafrique avec, si l’on en croit les
déclarations du Président français, François Hollande, lors de son
discours devant les députés sénégalais le 12 octobre dernier.
Sortie
remarquable du Président qui semble avoir réussi son pari à Dakar, pour
sa première visite sur le continent noir. Néanmoins, les Africains
circonspects, instruits par les promesses non tenues de ses
prédécesseurs, ont osé tout simplement brûler la politesse au nouveau
locataire de l’Elysée, en proclamant urbi et orbi : « le Grand Sorcier Blanc est encore venu nous blaguer-tuer comme tous les autres.»
Traduisez, en français mariné à la sauce abidjanaise, « le nouchi »,
Hollande va nous rouler dans la farine. Sentiment que résume
parfaitement un autre ivoirien cité par un site panafricain : « Il
faut pas nous baga-baga (tourner en bourrique)… Ils commencent tous
pareil, les présidents français, avec les mots : nouveau souffle,
nouvelle amitié, nouveau bla-bla-bla… »
Aussi, sur le
continent, il y a belle lurette que les promesses venues de l’ancienne
puissance coloniale ne font plus recette. Et pour cause : le discours de
La Baule de Mitterrand au milieu des années 90 sur l’accompagnement des
processus démocratiques dans son pré-carré francophone ainsi que la
promesse de rupture prônée au début de son quinquennat par le président
sortant, Nicolas Sarkozy, ont laissé un goût amer chez bon nombre de
démocrates africains.
On comprend pourquoi, de Dakar à
Kinshasa, en passant par Abidjan, Bamako, Libreville et Lomé, le
discours de François Hollande, au-delà des applaudissements nourris,
mais mesurés, entendus dans l’enceinte de l’assemblée nationale
sénégalaise, a laissé plus d’un dubitatif, sinon assez sceptique quant
aux actes concrets susceptibles d’accompagner les louables proclamations
d’intention et professions de foi de l’auto-proclamé « Président du changement ».
Même s’il s’en défend, le Président Hollande aurait tenté de prendre le
contre-pied du brûlot raciste et condescendant de Nicolas Sarkozy à
Dakar même en 2007. Aux antipodes de ce dernier, le nouveau Président
s’est voulu rassurant dans son discours aux accents respectueux des
valeurs et de l’Histoire de l’Afrique. Propos par ailleurs doublés d’une
certaine repentance, quoique timorée. L’observateur averti dira qu’il
est allé plus loin que son prédécesseur, en posant quelques actes
symboliques qui ont fini par réconcilier certains Africains avec la
Gauche française.
Toutefois, les opposants Congolais pourront
continuer à ronger leur frein. Pour ne pas froisser le Président
Laurent Kabila, prudent, François Hollande s’est uniquement contenté
devant son hôte de quelques piques, évitant soigneusement de nommer les
dinosaures africains qui s’accrochent au pouvoir contre la volonté de
leurs peuples. Foin de la dénonciation des fraudes et irrégularités lors
des dernières élections au Congo Démocratique. Foin également des
auteurs de viols, crimes, et pillages dans l’Est du Congo soutenus par
leurs parrains ougandais et rwandais.
Foin enfin de nombreux
sujets qui fâchent, comme l’avenir du franc CFA, monnaie naguère arrimée
au franc, et qui aliène depuis 50 ans les quatorze pays de la zone
franc, au profit exclusif de la Banque de France, en vertu d’un vieux
pacte colonial, dol et léonin. A quand donc la mise en place effective, à
l’instar de l’Euro, du projet des chefs d’Etat africains d’Abuja, de la
création d’une monnaie unique, véritable attribut de leur
souveraineté ?
Quid de la présence des bases militaires
françaises qui hypothèquent l’indépendance réelle de plusieurs pays
francophones d’Afrique de l’Ouest ? Quid des visas français distillés
aux comptes gouttes par les consulats de France représentés en Afrique,
aux enseignants-chercheurs, artistes, étudiants et hommes d’affaires
africains à qui on rabâche les oreilles lors des grandes messes de la
Francophonie, des bienfaits de l’universalité ainsi que de la solidarité
de « la grande famille » de tous ceux qui ont en partage la langue
française ?
Toutefois, qui en voudra à François Hollande de
stigmatiser la cinquantenaire Françafrique, avec sa cohorte de réseaux
politico-mafieux ? Qui n’applaudira pas ce Président qui entend
désormais nouer avec l’Afrique, des relations plus saines, dénuées de
toute tentation d’assujettissement, de paternalisme et de connivence
politicarde ? Sans doute, plus que nul autre, ce Corrézien d’adoption
avait en mémoire pendant qu’il s’adressait aux députés sénégalais, la
célèbre formule du journaliste Raymond Cartier dans les années
soixante. « La Corrèze avant le Zambèze ». Aussi, prenant ici et maintenant toute la mesure des enjeux économiques de ce siècle dont l’Afrique, « continent d’avenir »,
constitue déjà l’un des théâtres majeurs, François Hollande a voulu,
s’appuyant sur le rapport du Ministère français de la
Défense, repositionner la France dans le jeu actuel où les pays
émergents- la Chinafrique triomphante en tête- sont en train de concurrencer durement l’ex Puissance tutélaire. Selon ce rapport prospectif d’experts, « l’Afrique
restera une zone de convoitise et de confrontations potentielles et une
zone d’intérêt stratégique prioritaire pour la France ».
A
Dakar comme à Kinshasa, les symboles forts, il y en eu : hommage à la
démocratie sénégalaise, l’une des rares en Afrique francophone, visite
de l’Ile de Gorée (un des hauts lieux de l’esclavage) ; reconnaissance
du rôle de la France dans la Traite Négrière et dans la colonisation ;
rencontre avec Etienne Tshisekedi, l’opposant historique aux dictatures
de l’ex-Zaïre et de l’actuel Congo, sans toutefois légitimer, reconnaît
le Président français lui-même, ce dernier ; attribution du nom de
Floribert Chebeya, journaliste-opposant et militant des Droits de
l’Homme congolais assassiné par le régime de Kabila à une médiathèque de
l’Institut français de Kinshasa … Mais, peut-on se contenter des seuls
actes symboliques qui à l’évidence ne seront suivis que de peu
d’effets ?
Nous l’avons dit dans plusieurs chroniques ici même
et ailleurs : les Africains ne sont plus dupes face à ces discours. Ils
en ont entendu bien d’autres et n’ont rien vu venir. Au Togo, où le
Collectif Sauvons le Togo (CST) de Maître Zeus Ata Messan Ajavon et
l’ANC de Jean-Pierre Fabre s’opposent au régime en place, depuis
plusieurs mois, mobilisant des milliers de Togolais ; au Gabon où, menée
par M’ba Obame, une fédération de vingt partis réunis au sein de
l’Union des Forces de Changement(UFC) conteste courageusement la
dynastie des BONGO qui se maintient au pouvoir par le truchement des
fraudes électorales ; au Cameroun où l’opposition tente de s’unir contre
le régime corrompu de Paul Biya ; on rappelle qu’on n’a pas attendu le
discours de Français Hollande pour diriger la fronde contre ces
autocraties françafricaines.
Le Président français a promis de refermer la longue parenthèse des errements de la Françafrique. « Le
modèle inégalitaire françafricain est révolu au profit d’un partenariat
égal et le refus d’imposer ou seulement de proposer un exemple » affirme-t-il.
Aux Africains de prendre François Hollande au mot afin que, des
promesses, il passe maintenant aux vrais actes. Les actes, c’est
maintenant ! Les prochaines échéances qui se profilent dans le pré-carré
françafricain constitueront une sorte de baptême de feu pour ce
« Président du changement » qui vient de tremper ses pieds dans le
marigot africain où le terme francophonie ne rime pas forcément avec
démocratie et où, surtout, les gros caïmans ne se font aucun cadeau.
Lawœtey-Pierre AJAVON
Octobre 2012
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SOURCE : http://www.blada.com/chroniques/2012/8527-_Le_temps_de_la_Francafrique_est_revolu__.htm
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