[Afrique] Justice internationale et souveraineté des Etats africains
Tribune libre

Les affaires instruites concernent essentiellement des africains. Cet état de choses, qui étonne et détonne, a conduit nombres d'observateurs, surtout africains, à contester l'impartialité de cette juridiction censée être indépendante et apolitique. Pas étonnant que l'on parle, dans certains milieux, de '' Loi du plus fort '', de '' Justice des vainqueurs'', '' d'instrument de l'occident destiné à dépouiller les petits Etats de leur souveraineté '', etc.
M. Jean Ping, ancien président de la commission de l'Union Africaine avait en son temps accusé la CPI de '' harceler '' l'Afrique. Mme Nkosasana Dlamini-Zuma, qui vient de lui succéder, adopte la même ligne de conduite lorsqu'elle affirme, concernant l'affaire El-Béchir, qu'une arrestation du président soudanais serait malvenue, au motif que cela pourrait compromettre le processus de paix initié dans son pays. La sud-africaine nouvellement élue fait ainsi sienne la position adoptée par l'UA qui refuse de coopérer avec la CPI sur ce dossier. Les chefs d'Etat africains ont aussi, pour la plupart, adopté la même attitude depuis 2009, année de l'inculpation d'Omar El Béchir.
Thomas Lubanga

Tollé de plus en plus assourdissant depuis l'arrêt du 20 juillet 2012, arrêt de la Cour internationale de Justice qui condamne le Sénégal dans l'affaire « Belgique contre Sénégal ». Cet arrêt est l'aboutissement d'une requête introduite le 19 février 2009 par le Royaume de Belgique contre le Sénégal à propos '' d’un différend relatif au « respect par le Sénégal de son obligation de poursuivre [M. Hissène Habré, ancien président de la République du Tchad], ou de l’extrader vers la Belgique aux fins de poursuites pénales ».
" De quoi je me mêle ! '', pourrait-on dire, tant le principe « Pas d'intérêt pas d'action » semble applicable en l'espèce. On serait également tenté de se poser la question suivante: la Belgique, aurait-elle pu prendre l'initiative de traîner la France, l'Allemagne ou les Etats-Unis devant la Cour internationale de justice, si M. Hissène Habré avait trouvé refuge dans l'un des pays cités et que ce pays ne l'avait ni jugé ni extradé ? Mais, trêve de conjectures! Le sujet est d'importance . Il l'est tel qu'on ne saurait s'accommoder de subterfuges !
Sur l'argument selon lequel la justice internationale s'acharne sur les Etats africains qu'elle prive du monopole de la répression pénale considéré par tout Etat comme un des attributs de sa souveraineté, deux observations méritent l'attention !
Gbagbo à la CPI

La seconde observation s'appuiera sur l'article 17 du Statut de Rome qui énonce le principe de complémentarité de juridictions. Principe qui dispose que la compétence de la Cour ne s'exerce que de façon complémentaire à celle des systèmes juridiques nationaux. En fait la compétence nationale pénale prime sur la CPI qui ne peut exercer sa compétence qu'en cas de défaillance du système juridique d'un Etat.
Mme Fatou Bensouda, Procureur de la CPI, qui a succédé à Luis Moreno Ocampo, se trouve au Kénya au moment où s'ébauche ce papier. Elle a fait une déclaration publique dans laquelle elle explique le motif de son séjour. Elle dit en substance avoir constaté que les autorités kényanes, malgré les engagements par elles pris pendant les concertations avec la Cour, n'ont jamais diligenté la moindre poursuite judiciaire contre les auteurs présumés des violences post-électorales. La Cour est en conséquence fondée de prendre l'affaire en main. « Le 5 novembre 2009, mon prédécesseur a rencontré le Président Mwai Kibaki et le Premier Ministre Raila Odinga à Nairobi après avoir été informé par les autorités kényanes de l’impasse regrettable dans laquelle se trouvait la situation au niveau national. Il les a avertis qu’étant donné que les critères du Statut de Rome étaient remplis et que le Gouvernement kényan n’avait pas été en mesure d’établir un tribunal national pour juger les auteurs des crimes perpétrés au cours des violences postélectorales, il se trouvait dans l’obligation d'ouvrir une enquête sur ces crimes présumés.»
C'est en toute souveraineté que l'Etat Kényan a accueilli Mme Fatou Bensouda sur son territoire. Et c'est avec la coopération des Kényans que le Procureur de la CPI et son équipe s'attèlent à réunir les preuves destinées à confondre les coupables kényans devant la CPI.
On ne peut pas donc soutenir avec succès que les Etats africains subissent avec passivité le diktat de la justice internationale. Il faut quand même rappeler que 133 pays africains ont signé et ratifié le Statut de Rome. Ces signatures et ratifications n'ont été faites sous aucune contrainte extérieure.Qu'en est-il de l'arrêt de la Cour internationale condamnant le Sénégal? Un bref rappel des faits s'impose !
Hisseine Habré

« Le 30 novembre 2000, un ressortissant belge d’origine tchadienne a déposé une plainte avec constitution de partie civile contre M. Habré devant un juge d’instruction belge, notamment pour violations graves du droit international humanitaire, crimes de torture et crime de génocide. Entre le 30 novembre 2000 et le 11 décembre 2001, vingt autres personnes ont déposé, devant le même juge, des plaintes similaires contre M. Habré pour des faits de même nature. Ces plaintes, qui se rapportaient à la période allant de 1982 à 1990 et émanaient de deux binationaux belgo-tchadiens et de dix-huit ressortissants tchadiens, visaient des crimes prévus par la loi belge du 16 juin 1993 relative à la répression des violations... »
La Belgique a demandé au Sénégal de juger M. Habré ou de l'extrader comme l'impose la Convention contre la torture. Le Sénégal a finalement modifié son code de procédures pénales et sa constitution pour que le juge national puisse exercer la compétence universelle que la Convention lui reconnait. Malgré ces modifications, le juge sénégalais n'a toujours pas jugé l'ancien président. Ce qui a conduit la Belgique à solliciter le juge international qui a fini par dire et juger « que la République du Sénégal doit, sans autre délai, soumettre le cas de M. Hissène Habré à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale, si elle ne l’extrade pas. »
Mme Fatou Bensouda, Procureur de la CPI

Au Congo-Brazzaville, le collectif des parents des disparus du Beach s'était vu opposé le mur du déni de la part du juge national. C'est lorsque les plaignants se sont tournés vers la justice internationale que les autorités du Congo se sont précipitées à organiser un simulacre de procès tristement célèbre. Le but du procès n'était nullement la recherche de la vérité, mais plutôt l'obtention d'un jugement qu'on brandirait pour faire prévaloir le principe Non bis in idem – autorité de la chose jugée – qui dispose que nul ne peut être jugé deux fois pour le même crime. Impunité acquise pour les bourreaux ?
Tout compte fait, l'on se rend compte que les Etats africains jouissent pleinement de leur souveraineté sur la scène internationale. Comme tous les Etats modernes, ils abandonnent ici et là des parcelles de souveraineté. Les crimes contre l'humanité sont une infraction tellement grave qu'on ne saurait laisser la répression pénale en la matière à la discrétion des seuls Etats.
A ceux qui considèrent que la Justice et les droits de l'homme relèvent du domaine réservé de l'Etat, il faut opposer la déclaration de Boutros Ghali lors de l'ouverture de la conférence internationale de Vienne sur les droits de l'homme:
« Lorsque la souveraineté devient l'ultime argument évoqué par les régimes autoritaires pour porter atteinte aux droits et libertés des hommes, des femmes, des enfants, à l'abri des regards, alors – je le dis gravement – cette souveraineté-là est déjà condamnée par l'Histoire ».
Source : www.mwinda.org