Coopération sino-congolaise : entre héritage historique et inquiétudes contemporaines
La coopération entre la Chine et la
République du Congo, souvent présentée comme un modèle de partenariat
Sud-Sud, suscite aujourd’hui de profondes interrogations. À l’heure où
les défis liés au développement durable, à la souveraineté économique et
à la préservation de l’environnement se posent avec acuité, l’opacité
de certains engagements bilatéraux interpelle. Le peuple congolais, au
cœur des enjeux, exprime de plus en plus le sentiment d’être mis à
l’écart des retombées réelles de cette coopération.
Un passé de coopération pragmatique et solidaire
L’histoire des relations
sino-congolaises remonte à l’époque de la présidence de l’Abbé Fulbert
Youlou, dans les années 1960. Après une période de méfiance initiale —
en témoigne l’ouvrage J’accuse la Chine publié par le président
Fulbert Youlou — le Congo engage sous Massamba-Débat une coopération
active avec la République Populaire de Chine. En 1964, les premiers
projets concrets voient le jour : construction de l’usine textile de
Kinsoundi, lancement de l’Office National du Commerce (OFNACOM),
création de centres de santé, envoi de médecins et d’enseignants
chinois, et construction de l’hôpital de Makélékélé.
Sur le plan sportif et culturel, le
Stade Massamba-Débat, édifié avec l’appui de la Chine, accueille en 1965
les premiers Jeux africains d’athlétisme. Ce dynamisme se poursuit dans
les décennies suivantes avec la construction du Palais des Congrès dans
les années 1980, ou encore la mise en service du barrage
hydroélectrique de Moukoukoulou, qui reste à ce jour l’un des ouvrages
stratégiques majeurs pour l’approvisionnement électrique du sud du pays.
Ce partenariat, longtemps fondé sur une
logique d’échange solidaire, a contribué à structurer des
infrastructures essentielles dans les domaines de l’énergie, de la
santé, de l’agriculture et de l’éducation.
Un tournant préoccupant depuis les années 2000
Toutefois, à partir des années 2000, un
changement profond s’opère dans la nature de cette coopération.
L’arrivée massive d’entreprises privées chinoises dans le secteur des
ressources naturelles — sans toujours une régulation étatique adéquate —
marque une rupture avec les principes initiaux. Cette évolution a été
relevée dans plusieurs rapports, notamment ceux de Transparency International et d’Amnesty International, qui alertent sur l’absence de transparence dans les contrats miniers et forestiers en Afrique centrale.
Dans le département du Kouilou, la
dégradation accélérée de la forêt du Mayombe, notamment du fait de
certaines pratiques d’exploitation peu respectueuses des normes
environnementales, illustre les limites d’un partenariat déséquilibré. À
Pointe-Noire, la raréfaction des ressources halieutiques — en partie
causée par des techniques de pêche destructrices comme le dynamitage — a
des répercussions directes sur la sécurité alimentaire des populations.
Ce phénomène, également observé dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest
comme le Sénégal, a été documenté par la Food and Agriculture Organization (FAO) des Nations unies.
La voix de la société civile et des partenaires internationaux
À l’occasion d’un déplacement à
Washington, lors d’un échange organisé avec des représentants
américains, la voix du président du CDRC, Modeste Boukadia, avait été remarquée pour sa lucidité sur les enjeux de cette coopération.
Ce positionnement avait trouvé un écho du côté de l’administration
américaine, notamment à travers une déclaration du Secrétaire d’État Rex
Tillerson en 2018, appelant à une coopération « plus équilibrée, plus transparente et centrée sur les besoins des populations locales » (source : U.S. Department of State Archives).
En 2020, certains chefs d’État africains
ont également exprimé — en privé — leur prudence vis-à-vis de certaines
entreprises chinoises, pointant des pratiques de sous-évaluation des
gisements miniers, une tendance à l’auto-exclusion dans les chantiers,
et des discours discriminatoires envers les travailleurs africains.
Vers une refondation responsable de la coopération
Face à ces constats, il est légitime de poser la question suivante : quelle coopération pour quel développement ?
La déclaration du ministre congolais des
Affaires étrangères, Jean-Claude Gakosso, affirmant que la Chine et le
Congo entretiennent aujourd’hui un « partenariat stratégique global »,
gagnerait à être accompagnée d’un cadre rigoureux d’évaluation et de
suivi des engagements. La diplomatie ne peut être réduite à des
cérémonies de signature ; elle doit être fondée sur la transparence,
l’intérêt mutuel et la participation citoyenne.
Le Congo, en tant qu’État souverain, se
doit de protéger ses ressources naturelles, son tissu social et
l’intégrité de son écosystème. Il ne s’agit pas de rompre avec la Chine,
mais de redéfinir les termes d’un partenariat plus équitable,
respectueux de l’environnement et inclusif pour les populations.
Conclusion : une exigence de vigilance et de souveraineté
L’ambiguïté de la coopération
sino-congolaise ne relève pas seulement d’un déséquilibre économique ;
elle interroge notre souveraineté, notre gouvernance et notre capacité à
projeter une vision à long terme. Une suspension temporaire de certains
accords pourrait être envisagée, le temps de mener un audit indépendant
sur les impacts socio-économiques et environnementaux de cette
coopération.
Rien ne devrait être entrepris sans
consulter les communautés concernées. L’heure est venue de replacer
l’humain, la nature et l’intérêt national au cœur de nos relations
extérieures.
Sidonie Salabanzi – Ottawa, le 16 avril 2025 – 12h00