mardi 22 février 2011

[Côte d'Ivoire] Interview : Me Koffigoh (UA) dit ses vérités sur la crise post-électorale

Côte d’Ivoire [Interview] : Me Koffigoh (UA) dit ses vérités sur la crise post-électorale


  (AfriSCOOP Exclusif) — Alors que s’amorcent les missions de bons offices confiées par l’Ua à un panel de cinq présidents africains, Me Joseph Kokou Koffigoh (chef de la Mission d’observation de l’Ua au cours de la présidentielle ivoirienne) nous livre en exclusivité sa lecture de l’évolution de l’actualité en Côte d’Ivoire. Me Koffigoh fut Premier ministre au Togo.

AfriSCOOP : L’Ua a mis en place un panel de 5 présidents pour plancher sur la crise ivoirienne, avec à terme des « propositions contraignantes » pour les camps Ado et Gbagbo. En quoi l’action de ce panel ne sera pas un bis repetita ?

Koffigoh : La décision de l’Union Africaine de mandater cinq (5) présidents au chevet de la Côte d’Ivoire est bonne, à condition que les chefs d’Etat se rendent à Abidjan sans parti pris, c’est-à-dire avec le souci de proposer des solutions acceptables pour les protagonistes. Je ne comprends pas trop le terme « propositions contraignantes » dans un tel cas de figure. La contrainte aurait dû jouer depuis huit ans pour faire plier la rébellion, au lieu de la complaisance dont on a fait preuve en déroulant le tapis rouge à ceux qui ont pris les armes contre leur propre pays, au mépris des résolutions, pactes et protocoles de l’Union Africaine et de la CEDEAO.

L’Ua ne se contredit-elle pas en mettant sur pied ce panel tout en « reconnaissant la victoire d’Ado » lors du second tour de la présidentielle du 28 novembre 2010 ?

La contradiction est flagrante. L’Union Africaine, par ce biais, a dressé un obstacle sur son propre chemin pour la résolution de la crise en établissant, comme une évidence, « la victoire » d’Alassane Dramane Ouattara. La démarche la plus sage eût été d’évaluer la crise post électorale aussi bien au regard des faits allégués par les deux parties, qu’à la lumière du droit constitutionnel ivoirien. L’Union Africaine se comporte comme un juge qui aurait déjà rendu son verdict avant le procès. Et là, il y a problème.

Vous avez été chef de la Mission d’observation de l’Ua en Côte d’Ivoire, dans le cadre de cette présidentielle. Sur cette base, quelle proposition de sortie durable de crise mettrez-vous sur la table ?

La déclaration des observateurs de l’Union Africaine a été adoptée à l’unanimité des délégués. Elle recommande que les contestations éventuelles des résultats soient soumises aux instances prévues à cet effet. En l’occurrence, c’est le Conseil Constitutionnel qui est chargé du contentieux électoral en dernier ressort. Laurent Gbagbo s’est adressé au Conseil de même qu’Alassane Dramane Ouattara. Ce dernier a saisi le Conseil pour la validation du serment qu’il a prêté par écrit, le Conseil l’a déclaré irrecevable : voilà pour le droit. Mais comme il y a problème, il faut simultanément agir sur tous les protagonistes pour trouver un accord et sortir le pays de l’impasse. Jusqu’à présent, les pressions ont été unilatérales et faites en violation de la souveraineté de la Côte d’Ivoire. M. Gbagbo a proposé une évaluation du processus. Je ne crois pas que cela soit si difficile à admettre ou à faire.

Sur « Radio Nana Fm » (une station togolaise), vous avez laissé entendre que le Conseil constitutionnel aurait pu aider à solutionner le différend électoral ivoirien, s’il avait ordonné la reprise du vote dans les zones géographiques sujettes à de vives contestations…

En effet, c’était une option, mais le Conseil (constitutionnel) a décidé autrement. On ne peut pas exclure l’hypothèse que la haute juridiction ivoirienne ait été outrée par la précipitation du représentant de l’ONU qui a rejeté par avance le pouvoir du Conseil, en violation de la souveraineté de la Côte d’Ivoire. Ne trouvez-vous pas bizarre qu’on aille jusqu’à sanctionner de l’extérieur un haut magistrat africain qui a rendu un jugement en son âme et conscience ?

Beaucoup de vos compatriotes gardent, dans le cadre de cette présidentielle ivoirienne, l’image de votre présence à la prestation de serment de Laurent Gbagbo. M. le Premier ministre, en pleine polémique, était-ce la position la plus sage à adopter, même si votre Mission d’observation était finie ?

La Mission d’observation était terminée. Le contentieux électoral vidé, et la Constitution ivoirienne ne prévoit qu’un bref délai pour la prestation de serment. J’étais invité à la cérémonie. Je ne pouvais pas cautionner ceux qui ont fait le choix de déstabiliser la Côte d’Ivoire en remettant en cause une décision souveraine prise par le Conseil constitutionnel d’un Etat indépendant.

Est-ce le Koffigoh panafricain et nationaliste qui a assisté à la prestation de serment sus-citée ou le Koffigoh ami de la famille Gbagbo ?

Les deux.

Lorsqu’on parcourt attentivement divers rapports produites par diverses Missions autour de cette présidentielle, on se rend compte que les deux camps ont été coupables d’irrégularités. N’est-il pas possible de réorganiser un nouveau second tour, en dépit du « non » catégorique de l’Ue à cette perspective ?

Pourquoi pas ? Seulement, cette perspective n’est envisageable que si le désarmement de la rébellion et la réunification du pays deviennent effectifs. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, si on réorganise les élections dans les mêmes conditions de pagaille dans les zones sous contrôle des rebelles, on aura les mêmes résultats contestés. C’est dire qu’il y a encore du chemin à faire. Mais, on peut et on doit commencer s’il y a de la bonne volonté de part et d’autre.

Pourquoi le recomptage des voix proposé par certains observateurs de cette crise ne reçoit pas l’approbation des deux parties ?

En fait, le simple recomptage ne résout pas le problème. Prenons par exemple une région entière ou un candidat n’a eu que « zéro voix » et où donc le bourrage d’urnes est avéré. Va-t-on attribuer les « bons résultats » au bénéficiaire de cette forfaiture ? Si l’on considère le problème de la Côte d’Ivoire du point de vue strictement électoral, le panel de chefs d’Etat n’aura finalement qu’à se pencher sur le contentieux dans les zones où les élections ont été frauduleuses et refaire le travail déjà fait par le Conseil constitutionnel. A ma connaissance, les partisans de Gbagbo ne s’opposent pas au recomptage. Mais la crise va au-delà de la simple question électorale. On oublie qu’il y a une armée loyaliste qui a eu à affronter la rébellion.

Le Fpi rappelle souvent qu’il n’a exercé que 02 ans sur son premier quinquennat, avant le putsch manqué de 2002. Au regard du très bon score réalisé par M. Gbagbo lors du premier tour de cette présidentielle, son éventuel retrait du pouvoir ne préparerait-il pas la voie à son retour démocratique et triomphal dans les urnes en 2015 ?

Un président de la République doit quitter le pouvoir s’il est régulièrement battu aux élections ; L. Gbagbo l’aurait fait s’il avait été régulièrement battu. Ce qui n’est pas le cas. La même question peut être posée à son adversaire. Puisque celui-ci reconnaît la légitimité du Conseil Constitutionnel, au point de lui adresser son « serment » pour validation. Ne devrait-il pas s’incliner devant la décision confirmative dudit Conseil, quant à la victoire de son adversaire ?

Chaque fois qu’on évoque cette perspective (du retrait du Fpi), les pros Gbagbo répondent qu’ils ne font pas confiance à leurs adversaires politiques. Qu’est-ce qui peut donc encore réunir les Ivoiriens, quand on se rend compte que la crainte envers l’étranger ressurgit dans ce grand pays composé de diverses nationalités ouest-africaines ?

La question des étrangers existe dans de nombreux pays, y compris la France. La Côte d’Ivoire n’est pas un cas isolé : sous le régime du parti unique, la Côte d’Ivoire de Félix Houphouët-Boigny a réussi à recouvrir de vernis tous ces problèmes. Dès l’annonce de sa mort, le vernis a éclaté ; d’où le concept de l’ivoirité introduit par le Président Bédié pour écarter Alassane Dramane Ouattara, son allié d’aujourd’hui. La question maintenant réglée sur papier, il reste à la régler dans les cœurs. C’est pour cela qu’il faut de la patience pour que l’intégration se fasse complètement.

Thabo Mbeki, premier médiateur de l’Ua dans la crise ivoirienne, recommande dans son rapport définitif, qu’on « persuade Ado et Gbagbo » d’accepter la voie du dialogue. Ado et Gbagbo sont-ils radicalement opposés pour de bon ou c’est plutôt leurs entourages respectifs qui ne veulent pas de la paix en Côte d’Ivoire ?

Ce que vous dites a fait l’objet d’une discussion entre Thabo Mbéki et moi-même, lors de son passage à Abidjan, au lendemain de la prestation de serment de Laurent Gbagbo. Le Président Mbeki m’a dit que M. Gbagbo était prêt à discuter, mais qu’Alassane Ouattara était intransigeant, parce qu’il était soutenu par la communauté internationale. Voilà le problème. Si la pression était exercée sur les deux parties, au lieu de la situation qu’on connaît, le dialogue pourrait s’instaurer et aboutir à une sortie de crise. Je ne pense donc pas qu’il y ait une question d’entourage. C’est la communauté internationale qui a aggravé la crise.

Un certain nombre d’Africains soutiennent vaille que vaille L. Gbagbo, à cause de la fronde qu’il oppose à l’Occident en ce moment. L’eau, le téléphone, l’électricité, le Port d’Abidjan sont des secteurs qui demeurent dans les mains de multinationales françaises en Côte d’Ivoire. Le nationalisme de M. Gbagbo n’est-il donc qu’un vain mot ?

Etre nationaliste ne veut pas dire se couper du reste du monde. Les Ivoiriens sont prêts à coopérer avec tout le monde, mais connaissant bien L. Gbagbo, je peux dire qu’il ne demande qu’une chose : c’est qu’on respecte l’Africain comme étant un être majeur capable de décider de son destin.

Propos recueillis à Lomé par Edem Gadegbeku, © AfriSCOOP

SOURCE : http://www.afriscoop.net/journal/spip.php?article3065

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