mercredi 11 décembre 2013

France/Afrique : Le sommet de l'Elysée pour la paix et la sécurité en Afrique : que fait-on de la souveraineté ?


Le Sommet de l'Elysée pour la Paix et la Sécurité en Afrique : Que fait-on de la souveraineté ? Les travaux de ce Sommet des 6 et 7 décembre 2013 ont porté sur la paix et la sécurité en Afrique, le partenariat économique et le développement, le changement climatique. 53 délégations de pays africains et la France ont participé à ce Sommet ainsi que les représentants des Nations Unies, de l'Union africaine, de l'Union européenne, du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement. 

Faut-il prendre au mot François Hollande et prendre simplement acte des résolutions du Sommet de l’Elysée ? Des questions nourries par nos expériences respectives reviennent pourtant. Elles sont du type : « La France ne demande-t-elle pas à l’opinion de valider une reprise de la main en l’Afrique ? » Les Africains ont été convoqués (à l’Elysée) en France pour parler de leur « Paix et Sécurité ». Encore une fois, dans ce contexte de mondialisation où les peurs sont exacerbées, où des forfaits djihadistes hantent les esprits, la France réussit par des artifices, à grands renforts médiatiques à polir une image bien écornée - par son élan permanent de fuite en avant - et à valider un grand « re-tour » en Afrique, qui était beaucoup décrié ces dernières années. A défaut d’une auto-flagellation aux fins de faire un bilan objectif de son passé colonial, la France persiste dans sa logique à être le gendarme en Afrique. Elle n’entend pas les aspirations à la liberté des couches populaires et de la jeunesse africaines. Elle ne comprend pas que les mutations de générations doivent impliquer des approches réalistes. Elle s’entête plutôt à être le bras séculier d’une race de col blanc et d’une élite corrompus.

Nous pouvons lire dans la déclaration : que « Les Chefs d'Etat et de Gouvernement ont réaffirmé leur attachement à la sécurité collective sur le continent africain et leur engagement à favoriser la paix et promouvoir les droits de l'Homme, en conformité avec les buts et principes de la Charte des Nations Unies et de l'Acte constitutif de l'Union africaine. Ils ont appelé de leurs vœux le renforcement du dialogue stratégique entre l'Afrique et la France pour une vision commune des menaces. Ils ont affirmé que paix, sécurité et promotion et protection des droits de l'Homme étaient indissociables et qu'une action rapide en cas d'atteintes graves aux droits de l'Homme pouvait constituer un outil efficace dans la prévention des conflits… ».

Quel message la France envoie-t-elle à la jeunesse africaine ? Quelle est la part de la souveraineté africaine ? Pendant que Hollande fait de beaux discours, les actes posés par nombre de ses invités (Alassane Ouattara, Idriss Déby Itno, Faure Eyadéma, …) sur les droits de l’homme le contredisent, s’ils ne contrarient pas sa conscience. Quel crédit donner aux discours de Hollande quand ses compliments directs et/ou indirects à l’endroit du chef de l’Etat ivoirien (Alassane Ouattara) sont complètement décalés par rapport à la réalité du vécu des populations en Côte d’Ivoire. 

Des rapports des ONG mettent en évidence le caractère autoritaire et dictatorial du régime de Ouattara et la justice des vainqueurs ; des tortures de prisonniers politiques dans les geôles du pouvoir ivoirien - le syndicaliste Mahan Gahé en est mort -, sont monnaie courante ; des Ivoiriens pourchassés hors de la Côte d’Ivoire perdent la vie en exil dans l’indifférence totale ; un récent rapport de l’ONU déclare que Ouattara a mis en mission des tueurs pour assassiner des pro-Gbagbo exilés au Ghana. La France n’a pas réagi à ce rapport, pas plus qu’elle ne condamne les graves violations des droits de l’homme qui se poursuivent en Côte d’Ivoire.

François Hollande « avait juré durant sa campagne électorale de jeter dans le placard de l’histoire la Françafrique de ses prédécesseurs. Au final, il leur a emboîté le pas : deux interventions dans le continent noir rien que durant les deux premières années de son quinquennat ! Evidemment, le président socialiste français a invoqué de bons arguments et de bonnes intentions : chasser les djihadistes qui menaçaient Bamako à partir du nord du Mali qu’ils occupaient, et rétablir l’ordre étatique à Bangui menacé de surcroît de génocides ethnique et religieux. Mais sa promptitude a laissé dubitatif, même s’il a associé intelligemment des pays africains, le Conseil de sécurité et les commissions de l’UE et de l’UA, ce qui lui permet de claironner que la Françafrique, c’est du passé. En fait, rien de cela, car s’il n’est pas intervenu pour sauver des régimes, il l’a fait au nom d’intérêts géostratégiques de la France. François Hollande, qui a cherché à se débarrasser de cette image néo-colonialiste connotée par la Françafrique, promet davantage à l’occasion de son Sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique où il n’y aura pas que le carré français et d’autres pays africains francophones. Paris va, a-t-il affirmé à ses invités,  revoir sa politique africaine pour lui ôter ses fondements et relents néocolonialistes, pour instaurer enfin avec le continent des rapports gagnant-gagnant… »

Nelson Mandela décède la veille de ce Sommet de l’Elysée. Il faut saluer la mémoire de cette icône, de ce monument reconnu par le monde entier. Comment voir le décès de l’illustre disparu la veille du Sommet France-Afrique ? Cette coïncidence peut être en soit un message. Sur ce Grand symbole de la paix et de la réconciliation, François hollande dit dans l’expression de son hommage : « Mandela a vaincu le système odieux de l’Aparteid … Mandela est un exemple ; un exemple de résistance face à l’oppression ; un exemple de liberté face à la justice ; un exemple de dignité face à l’humiliation, un exemple de clairvoyance face à l’intolérance ; un exemple de pardon face aux haines ; un exemple de lucidité face aux dérives du pouvoir ; un exemple d’intelligence face aux épreuves … ». 

Nous avons ainsi un message, comme le dit Hollande lui-même, à tous ceux qui luttent contre l’oppression, pour leur liberté et pour la justice … C’est aussi un message aux différentes manifestations du racisme. Le Sommet des 6 et 7 décembre 2013 porterait sur la paix et la sécurité de l’Afrique. Il y a là comme une générosité débordante de l’ancienne puissance tutélaire à s’occuper de la sécurité des autres. Celle-là (la France) qui n’actionne pas les accords de défense lorsqu’elle trouve le pouvoir agressé indocile. La tentative de coup d’Etat du 19 septembre 2002 - qui est la racine de la situation actuelle en Côte d’Ivoire - nous parle encore et toujours. 

Devant la débâcle de la CPI, cette institution décriée même par des Occidentaux, tellement elle sert de théâtre à des règlements de comptes politiques ; tellement l’emprise politique du Conseil de sécurité s’y manifeste au contraire du droit et de la justice qui ont motivé sa création ; tellement le scandale des manipulations apparaît au grand jour, Hollande nous sort du chapeau la nécessité de former 20 000 soldats par an pour la sécurité et la paix en Afrique. Cette façon de faire, lue comme une infantilisation supplémentaire des dirigeants africains, n’est pas accueillie favorablement sur le continent. Sur les 2 interventions militaires de la France en Afrique - en moins de deux ans de mandat Hollande : le permis d’aller tuer quand les sondages sont bas -, en dehors des applaudissements mis en avant par des caméras intéressées, il y a un vrai malaise par rapport à cette France qui s’invite à nouveau à grands fracas en Afrique au 21è siècle, en faisant « avaler » des accords qui seront encore demain des variables d’ajustements au gré des contingences françaises.

« … MANQUEMENTS À LA DÉMOCRATIE : Dans la majorité des pays du continent, les élections s'apparentent davantage à un outil de préservation du pouvoir qu'à une réelle possibilité d'alternance politique. Depuis le discours de La Baule, dans vingt pays du continent, tous ceux qui ont organisé des élections les ont gagnées. En Erythrée, le régime en place ne prend même pas la peine d'en organiser.
La France s'est accommodée de ces manquements à la démocratie et a continué à soutenir des chefs d'Etat qui s'accrochaient au pouvoir pour certains depuis plusieurs décennies : 1982 pour Paul Biya (Cameroun), 1990 pour Idriss Déby (Tchad). Il existe même des pseudo-monarchies où des fils ont succédé à leurs pères décédés : Ali Bongo (Gabon), Faure Gnassingbé (Togo), Joseph Kabila (République démocratique du Congo) … Les grands perdants sont les principaux partis d'opposition. Impuissants à changer le cours des choses par les urnes, ils perdent peu à peu leur légitimité auprès de leurs électeurs lassés par tant d'élections frauduleuses. La conviction que seuls la révolution ou un changement de pouvoir par la force sont susceptibles de déboucher sur une alternance politique se renforce au sein des populations, particulièrement au sein de celles qui sont marginalisées et délaissées par les pouvoirs publics.

Ce désenchantement profite aux mouvements de rébellions ou favorisent les coups d'Etat. Les conflits internes qu'ont connus ces dernières années le Tchad, la République centrafricaine (RCA) ou le Soudan ont été en grande partie provoqués par l'absence de démocratie.

ARRÊTER LA MONOPOLISATION DU POUVOIR : Cela favorise également des mouvements extrémistes, notamment djihadistes comme dans le Sahel et le nord du Nigeria. Ils fondent leur propagande en mélangeant les ressentiments nés de la pauvreté, de la corruption et de la prédation des ressources avec le fantasme selon lequel l'Occident est toujours complice de pouvoirs népotiques et de chefs d'Etats qui s'accrochent à leur poste malgré leur âge… » [Clément Boursin (Responsable des programmes Afrique à l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture)]
 
Il est évident que la colonisation d’hier ne se manifeste pas de la même façon que celle d’aujourd’hui. Il faut simplement retenir que la colonisation reste présente. En fait, la rhétorique politique réussit toujours à présenter le mal-être des Africains comme les conséquences de leur incapacité à faire face à leurs problèmes vitaux. Cette opinion cultivée, relayée et répandue auprès de l’opinion publique occidentale à qui leurs élites, de façon atavique administre l’idée selon laquelle les Africains se battent entre eux à cause des haines ethniques et religieuses est un argumentaire qui ne résistera pas bien longtemps à l’épreuve des faits, tellement les contradictions sont grossières ; même si cette idée habite encore certains esprits naïfs. Car en réalité, c’est l’ancienne puissance coloniale qui manœuvre pour avoir des prétextes à intervenir militairement. Il importe de noter que la France a dû faire elle-même une révolution en 1789. Le message que Gauche et Droite françaises envoient donc aux populations des « anciennes colonies » est : « nous faisons avec ceux qui sont là, quels qu’ils soient puisque vous semblez vous en accommoder. » 

Comme nombre de dictateurs qui entouraient François Hollande, on voyait Alassane Ouattara qui ruse avec la paix et la réconciliation en Côte d’Ivoire. Doit-on assurer la sécurité d’un tel bourreau ? Le peuple de Côte d’Ivoire prendra Hollande à témoin quand nous imaginons que Mandela avait été un temps considéré comme un terroriste.

Enfin, il faut dire « oui » aux rapports gagnant-gagnant ! L’Afrique a besoin des Occidentaux comme les Occidentaux ont besoin de l’Afrique, sauf que les rapports Nord/Sud doivent être rebâtis sur un nouveau paradigme expurgé de tous types de relents et de préjugés.

Dr Claude Koudou : Analyste politique, Enseignant-Ecrivain ; Directeur de la Collection « Afrique Liberté » chez les Editions L’Harmattan.

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