jeudi 17 avril 2025

Coopération sino-congolaise : entre héritage historique et inquiétudes contemporaines

Coopération sino-congolaise : entre héritage historique et inquiétudes contemporaines


 

La coopération entre la Chine et la République du Congo, souvent présentée comme un modèle de partenariat Sud-Sud, suscite aujourd’hui de profondes interrogations. À l’heure où les défis liés au développement durable, à la souveraineté économique et à la préservation de l’environnement se posent avec acuité, l’opacité de certains engagements bilatéraux interpelle. Le peuple congolais, au cœur des enjeux, exprime de plus en plus le sentiment d’être mis à l’écart des retombées réelles de cette coopération.

Un passé de coopération pragmatique et solidaire

L’histoire des relations sino-congolaises remonte à l’époque de la présidence de l’Abbé Fulbert Youlou, dans les années 1960. Après une période de méfiance initiale — en témoigne l’ouvrage J’accuse la Chine publié par le président Fulbert Youlou — le Congo engage sous Massamba-Débat une coopération active avec la République Populaire de Chine. En 1964, les premiers projets concrets voient le jour : construction de l’usine textile de Kinsoundi, lancement de l’Office National du Commerce (OFNACOM), création de centres de santé, envoi de médecins et d’enseignants chinois, et construction de l’hôpital de Makélékélé.

Sur le plan sportif et culturel, le Stade Massamba-Débat, édifié avec l’appui de la Chine, accueille en 1965 les premiers Jeux africains d’athlétisme. Ce dynamisme se poursuit dans les décennies suivantes avec la construction du Palais des Congrès dans les années 1980, ou encore la mise en service du barrage hydroélectrique de Moukoukoulou, qui reste à ce jour l’un des ouvrages stratégiques majeurs pour l’approvisionnement électrique du sud du pays.

Ce partenariat, longtemps fondé sur une logique d’échange solidaire, a contribué à structurer des infrastructures essentielles dans les domaines de l’énergie, de la santé, de l’agriculture et de l’éducation.

Un tournant préoccupant depuis les années 2000

Toutefois, à partir des années 2000, un changement profond s’opère dans la nature de cette coopération. L’arrivée massive d’entreprises privées chinoises dans le secteur des ressources naturelles — sans toujours une régulation étatique adéquate — marque une rupture avec les principes initiaux. Cette évolution a été relevée dans plusieurs rapports, notamment ceux de Transparency International et d’Amnesty International, qui alertent sur l’absence de transparence dans les contrats miniers et forestiers en Afrique centrale.

Dans le département du Kouilou, la dégradation accélérée de la forêt du Mayombe, notamment du fait de certaines pratiques d’exploitation peu respectueuses des normes environnementales, illustre les limites d’un partenariat déséquilibré. À Pointe-Noire, la raréfaction des ressources halieutiques — en partie causée par des techniques de pêche destructrices comme le dynamitage — a des répercussions directes sur la sécurité alimentaire des populations. Ce phénomène, également observé dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest comme le Sénégal, a été documenté par la Food and Agriculture Organization (FAO) des Nations unies.

La voix de la société civile et des partenaires internationaux

À l’occasion d’un déplacement à Washington, lors d’un échange organisé avec des représentants américains, la voix du président du CDRC, Modeste Boukadia, avait été remarquée pour sa lucidité sur les enjeux de cette coopération. Ce positionnement avait trouvé un écho du côté de l’administration américaine, notamment à travers une déclaration du Secrétaire d’État Rex Tillerson en 2018, appelant à une coopération « plus équilibrée, plus transparente et centrée sur les besoins des populations locales » (source : U.S. Department of State Archives).

En 2020, certains chefs d’État africains ont également exprimé — en privé — leur prudence vis-à-vis de certaines entreprises chinoises, pointant des pratiques de sous-évaluation des gisements miniers, une tendance à l’auto-exclusion dans les chantiers, et des discours discriminatoires envers les travailleurs africains.

Vers une refondation responsable de la coopération

Face à ces constats, il est légitime de poser la question suivante : quelle coopération pour quel développement ?

La déclaration du ministre congolais des Affaires étrangères, Jean-Claude Gakosso, affirmant que la Chine et le Congo entretiennent aujourd’hui un « partenariat stratégique global », gagnerait à être accompagnée d’un cadre rigoureux d’évaluation et de suivi des engagements. La diplomatie ne peut être réduite à des cérémonies de signature ; elle doit être fondée sur la transparence, l’intérêt mutuel et la participation citoyenne.

Le Congo, en tant qu’État souverain, se doit de protéger ses ressources naturelles, son tissu social et l’intégrité de son écosystème. Il ne s’agit pas de rompre avec la Chine, mais de redéfinir les termes d’un partenariat plus équitable, respectueux de l’environnement et inclusif pour les populations.

Conclusion : une exigence de vigilance et de souveraineté

L’ambiguïté de la coopération sino-congolaise ne relève pas seulement d’un déséquilibre économique ; elle interroge notre souveraineté, notre gouvernance et notre capacité à projeter une vision à long terme. Une suspension temporaire de certains accords pourrait être envisagée, le temps de mener un audit indépendant sur les impacts socio-économiques et environnementaux de cette coopération.

Rien ne devrait être entrepris sans consulter les communautés concernées. L’heure est venue de replacer l’humain, la nature et l’intérêt national au cœur de nos relations extérieures.

Sidonie SalabanziOttawa, le 16 avril 2025 – 12h00


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire