samedi 6 février 2016

(Côte d'Ivoire/Françafrique/Afrique de l'Ouest) Pour un africanisme de maturité et de raison : A propos du procès Gbagbo

Par Félix BANKOUNDA MPELE

Laurent Gbagbo
Laurent Gbagbo

« Les palabres ne viennent pas à nous, c’est nous qui allons vers les palabres » (Proverbe ivoirien)1
1Proverbe ivoirien signifiant « Celui qui tente le diable ne doit pas être surpris des désagréments qui lui tombent dessus ». Palabre, c’était un beau mot africain autrefois pour désigner une discussion argumentée et consensuelle sous les conseils avisés des sages du village ! Aujourdhui, celà désigne la dispute, l’injure, et les mauvais coups !

Incroyables Africains! Comment ne pas s’étonner de l’attitude de nombreux africains aujourd’hui, à l’occasion de l’actualité continentale ! Je veux parler du procès Gbagbo où, tout de suite, une cabale a été lancée contre l’ouverture de ce procès, contre la CPI, et singulièrement contre la procureure de l’instance, Madame Fatou Bensouda ! Les détracteurs oubliant même que la saisine de la CPI et le transfèrement de Laurent Gbagbo, antérieurs à la nomination de Fatou Bensouda comme procureure, se firent au moment où était procureur de l’instance Luis Moreno Ocampo !

A se demander si la compétence d’une juridiction ivoirienne aurait été moins controversée et plus objective, ou si, simplement, il faut continuer à entretenir l’impunité. Sans par ailleurs s’interroger sur l’issue du procès qui peut toujours surprendre, comme on l’a vu pour le cas du président kényan, Uhuru Kenyata, qui, accusé des faits plus ou moins semblables, et appelé à comparaître le 8 octobre 2014, a vu la juridiction abandonner l’accusation le 5 décembre 2014 pour insuffisance de preuves. Et qui dit que demain Ouattara lui-même pourrait ne pas répondre à des accusations de même nature, après sa présidence, puisque nul ne doute que des massacres ont eu lieu dans les deux camps!

Non moins embêtant, que faire et comment traiter la situation de nombreux de nos potentats, puisque l’Afrique reste tout de même le continent au monde où abondent les dictateurs sanguinaires et que, de ce point de vue, et contrairement à ce que l’on entend ici et là, ce n’est pas la CPI qui choisit prioritairement sa clientèle en Afrique, mais plutôt celle-ci qui, en raison des pratiques politiques dominantes, prédestine ses ‘hommes forts’ à la CPI !

Ainsi, comme d’habitude, conformes à leur opportunisme légendaire, a-t-on vu les dirigeants africains, profitant de cette actualité et du sentiment suscité auprès de nombreux Africains, terminer le dernier sommet de l’Union africaine, le 31 janvier, par une motion de dénonciation et de retrait de tous les pays africains de cette institution.

Si, aux termes de l’article 15 de son statut, la CPI peut décider de l’ouverture d’une enquête sur des cas ouvertement graves, jusqu’ici, et hormis le cas du Soudan qui fut déféré auprès du procureur de cette instance par le Conseil de Sécurité, ce sont les pays africains, ou plutôt leurs dirigeants qui, eux-mêmes, quand cela les arrangeait, ont demandé l’adhésion ou décidé de l’ouverture d’une enquête sur des faits graves dans leur pays (Ouganda, RDC, RCA). On a vu ainsi, par exemple, le Congo-Brazzaville de Sassou-Nguesso se précipiter, fin octobre 1998, à la signature du traité instituant la CPI, parce que le dirigeant autoproclamé voulait y expédier son prédécesseur évincé et que, aujourd’hui, curieusement, Sassou-Nguesso est parmi les dirigeants chevronnés pour cette action de retrait!

Il faut donc que les Africains fassent preuve d’un peu plus de discernement, de raison; qu’ils sachent ce qu’ils veulent ! qu’ils évoluent de l’africanisme classique et plaqué vers un africanisme de maturité et de raison, pour éviter l’instrumentalisation dont ne sont pas aptes seulement l’Occident comme on aime bien le dire, mais aussi les dirigeants Africains.

Pour le cas de la Cote d’Ivoire dont il m’était arrivé de m’exprimer par une interview en mars 2011, autant l’attitude des autorités françaises dans ce pays à partir de 2003 et particulièrement 2004 s’était manifestement révélée françafricaine et donc clairement critiquable et coupable, autant l’ambition de Ouattara pour le pouvoir et ce qui l’accompagne souvent est sans équivoque, autant le comportement de Gbagbo et son Conseil constitutionnel était, au regard du ‘pacte’ de sortie de crise, le fameux Accord de Prétoria de 2005, accepté et signé par toutes les parties ivoiriennes, clairement illégal et anti-démocratique. Je sais que ce point de vue ne plaît pas à beaucoup d’ Africains mais, le comportement des deux institutions (présidence et juridiction constitutionnelle) n’était pas conforme au droit circonstanciellement et consensuellement adopté par les parties.

Sans compter que l’élection, elle-même, de Gbagbo en 2000, parce que véritable cafouillage pour ceux qui s’en rappellent encore, aurait incité tout démocrate digne de ce nom à sa reprise, comme n’avaient pas manqué de le demander plusieurs voix. Gbagbo, alors proche de Guey président putschiste et autoproclamé, dont le gouvernement contenait plusieurs membres de son parti, dribbla Guey et emporta l’élection présidentielle dans la confusion totale, mais avec le soutien indéfectible d’éminents ‘éléphants’ socialistes français alors au pouvoir qui, clairement, fermèrent les yeux et se prononcèrent pour le maintien de cette élection! Bref, qui est françafricain, qui ne l’est pas!

A propos de la présidentielle de 2010 organisée cinq ans après la fin du mandat de Gbagbo, le 28 novembre ( date du deuxième tour de l’élection présidentielle ivoirienne) était-il la date du procès de la françafrique ou la date du choix du président de la République, quelles que soit ses affinités!

Honnêtement, je ne suis pas sûr que la bêtise ne soit que d’un côté comme le croient de nombreux Africains, et, surtout, que Gbagbo se soit comporté en démocrate digne, aussi bien dans le processus de l’élection de 2000, que dans la séquence du deuxième tour de la présidentielle, le 28 novembre 2010, qui fit basculer la Cote d’Ivoire dans une guerre civile plus meurtrière que la crise précédente… Ne fusse-que parce que, je le rappelle, en éliminant des dizaines de milliers de votants dans sept (7) départements du nord et du Centre essentiellement pro Ouattara, (alors que la loi électorale, art 64 al 1er, obligeait la juridiction constitutionnelle, en cas d’irrégularités substantielles constatées, exclusivement à l’annulation de l’élection et la notification de sa décision à la Commission Électorale Indépendante pour sa reprise totale dans les quarante-cinq jours), le Conseil constitutionnel ivoirien avait fait preuve d’un parti-pris manifeste que la proclamation précipitée des résultats (moins de 24 h sur plus de vingt-deux mille cas contentieux, alors que la loi lui donnait jusqu’à sept jours pour une appréciation sereine des résultats), tout comme la formation en urgence d’un gouvernement par Gbagbo lui-même confortait.

Cela, malgré de multiples et respectables demandes à surseoir, y compris par ceux qui, nombreux, l’avaient soutenu en 2000. Certains ne manqueront pas de rappeler la publication des résultats par la CEI ailleurs ( au Golf Hôtel) qu’au lieu du dépouillement. Outre, comme on le sait, qu’elle avait été auparavant empêchée de les rendre publics à son siège, et ce devant les télévisions du monde entier, le dernier mot, conformément au texte et de façon impartiale, revenait tout de même au Conseil constitutionnel qui, ouvertement, aura failli.

L’africanisme de maturité et de raisonévoqué, dédaigneux de tout amalgame, de toute conclusion hâtive et tout raccourci, doit être différent de celui des pères des indépendances mobilisés contre le seul colonisateur, doit s’adapter au nouveau contexte dont l’oppresseur n’est plus seulement l’ancien colonisateur mais, bien plus, les propres dirigeants africains qui, on le sait, bien souvent, exploitent, humilient, paupérisent et tuent leurs concitoyens autant sinon plus que les anciens colonisateurs. Il ne manque d’ailleurs pas d’observateurs avertis pour dire que certains de ces dirigeants africains ont parfois même pris le dessus sur leurs anciens maîtres’ (cf. notamment Antoine Glaser, Africafrance. Quand les dirigeants africains deviennent les maîtres du jeu, Paris, Fayard, 2014)

C’est donc au cas par cas, minutieusement, que doit être appréciée la fameuse françafrique, et non par un placage automatique, au risque de voir ladite françafrique partout, de se faire manipuler par des dirigeants qui, on le voit, ont appris eux aussi, à se draper de l’africanisme pour jeter l’anathème, l’étiquette de françafricain à leur compétiteur pour les disqualifier. Surtout que, pendant un certain temps encore, à tort ou à raison, bon nombre de dirigeants africains, pour leur survie et aussi par réalisme, continueront à arranger l’ancien maître.

La confusion, le non discernement ont pour conséquence l’incohérence voire la contradiction et la bêtise dans les propres choix et stratégies des Africains. Ainsi, comment expliquer par exemple, et pour les Congolais notamment, qu’alors qu’ils ne cessent de promettre à leur dictateur et oppresseur d’aujourd’hui la sanction de la CPI, qu’ils se trouvent aujourd’hui, ironie du sort, à cribler la même CPI, à demander son dessaisissement, et donc à donner du grain à moudre à leur tortionnaire, aux dictateurs qui en ont profité, on l’a dit, au dernier sommet de l’Union Africaine, avec l’émotion suscitée par l’affaire Gbagbo auprès de certains africains, à prendre une option pour le retrait des États africains de cette institution ! Ce n’est certainement pas à l’Afrique qu’ils ont pensé mais bien à leur propre sort ! Car, et pour preuve, pas une seule fois on a vu un seul des dirigeants africains se lever pour dénoncer un de leurs homologues dans les grands massacres commis sur le Continent, notamment en Libye lors du soulèvement populaire du printemps arabe, en Egypte, en Tunisie, au Congo-Brazzaville consécutivement au coup d’État de Sassou-Nguesso, en Cote d’Ivoire, au Kenya, au Togo, au Burundi …

Alors, gare et attention, nuance et modération car, contrairement à ce que l’on peut penser a priori, l’affaire ne fait que commencer et rien ne préjuge, objectivement, de son issue, à court ou long terme. Autant pour cette affaire que pour d’autres à venir. La procureure de la CPI, sur laquelle certains ont concentré haine et insultes, n’est pas irremplaçable comme dans nos juridictions nationales sous ordre. Le jugement de Gbagbo n’est pas qu’humiliation, mais aussi, quelque part, une tribune en or pour lui, pour affûter ses thèses, y compris politiques, comme ne le démentent pas les débuts. Surtout, c’est un moment pour les africains d’approfondir leurs réflexions à différents égards, sur leur élite, sur la faillite tant décriée de leurs institutions, sur l’opportunisme des politiques, sur la communauté internationale, sur les limites de la communauté africaine… mais certainement pas, on l’espère du moins, pour des expressions et choix émotionnels encore. Car, on l’a dit au départ, mais on ne le répétera jamais assez, la CPI est essentiellement fille non désirée de la défaillance des systèmes politiques et juridictionnels nationaux, des régimes despotiques, un peu partout, et principalement en Afrique et que, de ce point de vue, on rappellera ledit proverbe ivoirien, selon lequel, « celui qui tente le diable ne doit pas être surpris des désagréments qui lui tombent dessus  »

Félix BANKOUNDA MPELE

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