France–Congo : un accord judiciaire pour la justice… ou pour l’impunité ?
Par Modeste Boukadia – 30 avril 2025
Le président Denis Sassou Nguesso du Congo est attendu à Paris les 23
et 24 mai prochains pour une visite officielle au cours de laquelle il devrait
signer avec les autorités françaises un accord bilatéral de coopération
judiciaire*. Une initiative qui, en apparence, s’inscrit dans une
volonté de renforcer les mécanismes de justice entre les deux pays. Mais à y
regarder de plus près, les signaux sont troublants.
Depuis deux décennies, les affaires dites des Biens Mal Acquis
ont révélé une architecture bien rôdée d’enrichissement illicite par certains
dignitaires africains — avec, parfois, la complaisance de structures en France.
Les allers-retours entre Brazzaville et Paris de figures impliquées dans des
détournements présumés de fonds publics n’ont rien d’anecdotique : lorsqu’ils
sont visés par la justice congolaise, ils trouvent refuge en France ; quand
c’est la justice française qui les rattrape, ils se replient… au Congo.
Dernièrement, plusieurs scandales financiers ont émergé sur les réseaux sociaux, mettant en cause de hauts responsables congolais. Plutôt que de faire face à la justice, beaucoup d’entre eux ont quitté le pays sans entrave, certains à bord de vols commerciaux à destination de la capitale française. Une fois à Paris, ces personnalités continuent à mener grand train dans l’indifférence générale, loin des salles d’audience.
Dans le même temps, à Brazzaville, on assiste à une série de décisions
troublantes : la levée de mandats d’amener, la libération de proches du
pouvoir, l’abandon progressif de poursuites contre des figures centrales de ces
affaires. La justice semble ici instrumentalisée, non pour protéger l’intérêt
général, mais pour garantir la protection de ceux qui gravitent autour du
cercle présidentiel.
Dès lors, une question s’impose : cet accord judiciaire
franco-congolais est-il destiné à renforcer la coopération entre deux systèmes
judiciaires autonomes, ou à consolider un mécanisme d’impunité transnationale ?
Le risque est grand qu’il ne serve qu’à verrouiller un pacte silencieux, dans
lequel ni Paris ni Brazzaville n’a intérêt à voir les enquêtes aboutir.
Il revient à la France, membre permanent du Conseil de sécurité des
Nations unies et signataire de conventions internationales anticorruption, de
clarifier sa position. Coopérer avec un État, oui — mais pas au détriment des
principes de justice, de transparence et de respect des peuples. Car signer un
accord judiciaire sans garantie d’indépendance réelle des procédures, c’est, de
fait, légitimer l’impunité.
Pour les citoyens congolais comme pour les partenaires internationaux
attachés à l’État de droit, la question est cruciale : veut-on une justice au
service des peuples ou une justice aux ordres des puissants ?
* Selon Africa Intelligence,
Sassou Nguesso sera reçu en France le 24 mai 2025.
SOURCE : https://cdrc-cg.com/2025/04/30/france-congo-un-accord-judiciaire-pour-la-justice-ou-pour-limpunite/