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“La politique ne s’arrête pas aux frontières géographiques, surtout dans un monde globalisé où les décisions qui impactent le Congo se prennent aussi hors du Congo.”
Dans cette troisième partie de notre interview, le président du C.D.R.C., Modeste Boukadia, aborde une question centrale et souvent controversée de la vie politique congolaise : l’action politique menée hors du territoire national. Ils sont en effet très nombreux, ces Congolais contraints de faire de la politique depuis la diaspora, alors même que leurs droits politiques ne sont, en pratique, pas reconnus par l’État congolais : ils ne peuvent ni voter ni être élus. Loin des procès en illégitimité souvent adressés aux acteurs de l’extérieur, Modeste Boukadia expose une vision structurée, stratégique et assumée de cet engagement politique, qu’il inscrit dans une lecture globale des rapports de force contemporains. Il développe également les fondements du ToPeSA comme projet de rupture et de refondation de l’État. Entre organisation, mobilisation citoyenne, pression internationale et préparation de l’après-Sassou, cette troisième séquence éclaire les ressorts d’une action politique qui se veut durable, collective et résolument tournée vers la restauration de la Nation congolaise.
Question : Comment faites-vous votre politique en étant basé à l’extérieur du Congo ?
Réponse : Il faut d’abord rappeler une vérité simple : la politique ne s’arrête pas aux frontières géographiques, surtout dans un monde globalisé où les décisions qui impactent le Congo se prennent aussi hors du Congo. Notre action depuis l’extérieur repose sur trois piliers :
Structuration politique : organisation, réflexion stratégique, élaboration de propositions concrètes comme le ToPeSA, qui vise la restauration de l’État et la refondation des institutions ;
Consultation et échanges en vue de convergence d’analyse et d’action des autres acteurs politiques et associatifs congolais
Le travail d’influence : interpellation des partenaires internationaux, des médias, des organisations de défense des droits humains, afin de rompre le silence et l’indifférence ;
Préparation de l’alternative : penser le Congo de demain, former les cadres, anticiper les politiques publiques, pour que le changement ne soit pas improvisé.
Être à l’extérieur n’est donc pas une fuite ni un manque de courage. C’est un choix stratégique imposé par un contexte politique répressif qui, finalement, nous permet de nouer de solides relations avec les partenaires notamment dans le cadre des nouveaux enjeux géopolitiques et géostratégiques avec le retour du Leadership des Etats-Unis qui influence la politique mondiale. De nouveaux rapports de force se sont créés et chacun veut être présent en Afrique d’une manière ou d’une autre. Aussi, quoiqu’imposée par le système politique de Brazzaville, notre présence en Europe et sur les autres continents est un atout car nous pouvons dialoguer et expliquer notre vision du Congo et de l‘Afrique auprès de nos partenaires.
Question : Quels mécanismes utilisez-vous pour rester en contact avec vos militants et suivre la situation politique dans le pays ?
Réponse : Après les poursuites et incarcérations auxquelles les membres du CDRC, moi-même compris, avions été l’objet, nous avons pris le soin de mettre en place une organisation décentralisée et résiliente, adaptée à un contexte de surveillance et de répression.
Concrètement cela se traduit par :
Des cellules locales autonomes, capables de fonctionner sans exposition inutile ;
Des canaux de communication sécurisés, pour protéger les militants ;
Un système de remontée d’informations venant du terrain : situation sociale, politique, sécuritaire ;
Des réunions régulières à distance pour coordonner les actions et harmoniser les positions.
Cette organisation permet à la fois la continuité politique et la protection des femmes et des hommes engagés sur le terrain.
Question : Comment assurez-vous que votre action hors du territoire ait un impact concret sur le terrain et sur les Congolais ?
Réponse : L’impact ne se mesure pas uniquement par la présence physique, mais par les effets produits.
Notre action a un impact concret à plusieurs niveaux :
Sur les consciences : en brisant la résignation et en redonnant un cadre d’analyse politique aux Congolais et en échangeant avec ceux de nos compatriotes à l’intérieur du pays. Je peux vous assurer par ailleurs que, eux, adhèrent à la nécessité de ToPeSA pour sauver ce qui doit l’être sur l’étendue de notre pays ;
Sur l’organisation citoyenne : en structurant une mobilisation qui ne dépend pas d’un homme mais d’une vision collective comme l’attestent les réunions que nos membres tiennent dans toute l’étendue du pays ;
Sur le rapport de force : en documentant les dérives du régime, en exposant les fraudes, en mettant une pression morale, politique et internationale.
Je souligne encore une fois que le ToPeSA n’est pas un slogan ni une agitation extérieure. C’est un socle stratégique destiné à préparer la restauration de l’État, à créer les conditions d’un investissement public efficace, et à offrir des solutions concrètes à la crise sociale, économique et politique que traverse notre pays le Congo.
Notre objectif n’est pas de faire de la politique de témoignage, mais de préparer un changement réel, durable et maîtrisé.
Question : 1. En dehors des élections, quelle est l’autre voie que le ToPeSA propose pour créer une rupture politique au Congo, c’est-à-dire faire partir Denis Sassou Nguesso ?
Réponse : Il faut d’abord être honnête avec notre peuple : Denis Sassou Nguesso ne partira pas par les urnes telles qu’elles existent aujourd’hui. Croire le contraire, c’est entretenir une illusion qui nous a déjà coûté des décennies d’errances stratégiques et des vies humaines.
L’alternative que propose le ToPeSA est celle d’une rupture politique par la restauration de l’État, à travers un processus de transition fondé sur la légitimité populaire et la pression citoyenne organisée.
Cette rupture ne passe ni par un putsch, ni par une insurrection aveugle, mais par :
la conscientisation des Congolais sur l’avenir de leurs enfants et leurs petits-enfants
la perte progressive de la légitimité interne du régime ;
la délégitimation externe, par la mise à nu de ses pratiques ;
la construction d’un rapport de force national, social, économique et politique.
Quand un pouvoir n’a plus de légitimité, plus de crédibilité et plus de capacité à gouverner, il devient insoutenable, même pour ses soutiens. C’est pourquoi nous agissons au niveau de nos partenaires à plusieurs niveaux.
Question : Comment mobilisez-vous les citoyens autour de ces alternatives et quel rôle peuvent-ils jouer concrètement ?
Réponse: La mobilisation que nous prônons n’est pas émotionnelle, elle est consciente et structurée. Concrètement, les citoyens ont trois rôles essentiels :
S’approprier la compréhension du problème, en sortant du débat ethnique et des querelles de personnes ;
S’organiser localement, dans les quartiers, les milieux professionnels, les syndicats, les associations, la diaspora ;
Agir de manière coordonnée, pacifique mais déterminée.
Le citoyen n’est pas seulement appelé à voter tous les cinq ans.
Son rôle est plus large, central et consisterait à :
refuser la normalisation de l’inacceptable ;
documenter les injustices ;
soutenir les actions collectives ;
participer à la construction de solutions alternatives.
C’est cette masse critique organisée qui rend possible la rupture.
Question : Quelles sont les stratégies du ToPeSA pour influencer le changement politique sans dépendre exclusivement des scrutins électoraux ?
Réponse : Notre stratégie repose sur plusieurs leviers complémentaires Le levier intellectuel et pédagogique : expliquer, former, déconstruire la propagande et redonner aux Congolais les outils de compréhension politique, ce rôle est celui de tous, sachants, formateurs, juristes, intellectuels, libres-penseurs, etcetera ;
Le levier social : mettre au centre les questions vitales — salaires, pensions, santé, éducation — pour montrer que le problème est systémique ;
Le levier institutionnel : préparer l’architecture de l’État de demain, pour prouver que nous ne sommes pas dans la contestation stérile mais dans la proposition ;
Le levier diasporique et international : utiliser la liberté d’expression à l’extérieur pour faire pression, alerter et briser le mur du silence en utilisant au mieux les réseaux sociaux ;
Le levier citoyen : encourager des formes de résistance pacifique, coordonnées et responsables.
Le ToPeSA ne cherche pas le pouvoir pour le pouvoir. Il prépare avec courage l’après-Sassou, pour éviter que son départ ne débouche sur le chaos, que de son coup d’État devenu permanent, s’en succède un autre, que la vengeance ne caractérise la finalité des luttes pour lesquelles nombreux éminents congolais ont été sacrifiés.
La rupture politique ne viendra donc pas d’un bulletin de vote isolé. Elle viendra d’un peuple conscient, organisé et déterminé, capable d’imposer une transition historique. Le ToPeSA est un outil. Le peuple congolais en est la force.
Serge Armand Zanzala, Écrivain, chercheur, citoyen engagé, Directeur de La Société Littéraire, Initiateur du projet Kongo Ya Sika
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