dimanche 28 décembre 2025

Qand la médiocrité devient un mode de gouvernance : aveux, népotisme et faillite morale au sommet de l'Etat congolais

 

Serge Armand Zanzala

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Pierre Ngolo a-t-il pété les plombs ?

Les propos attribués à Pierre Ngolo, membre influent du Parti congolais du travail (PCT) et président du Sénat, rapportés par Basango Ya Sassouland, constituent bien plus qu’un simple dérapage verbal. En déclarant que « le problème est que nos camarades placent les plus idiots de leurs enfants dans les institutions de la République », Pierre Ngolo ne fait pas que choquer par la crudité de ses mots : il livre, presque malgré lui, une radiographie fidèle de l’état de la gouvernance en République du Congo.

Cette phrase, d’une violence symbolique rare, agit comme un aveu collectif. Elle révèle ce que le peuple congolais dénonce depuis des décennies : la confiscation de l’État par une élite politique qui confond pouvoir public et patrimoine privé, République et héritage familial, institutions et récompenses claniques. Lorsqu’un président du Sénat en arrive à reconnaître publiquement que des personnes incompétentes occupent des postes clés, c’est que le mal est profond, structurel et désormais assumé.

Le népotisme érigé en principe de gouvernement

Au Congo, le népotisme n’est ni une anomalie ni une dérive occasionnelle. Il est devenu un principe de fonctionnement du système politique. Les nominations ne répondent plus à une logique de compétence, de parcours administratif ou de vision stratégique, mais à une mécanique de loyauté familiale et politique. Être fils, gendre, beau-fils, neveu ou cousin devient un critère de sélection plus déterminant que l’expérience ou le savoir-faire.

Les institutions de la République — mairies, ministères, entreprises publiques, agences d’État, assemblées — sont progressivement transformées en espaces de reproduction sociale d’une oligarchie fermée.

Cette logique a vidé l’administration de sa substance et transformé l’État en un appareil lourd, inefficace et largement discrédité.

Les propos de Pierre Ngolo sont d’autant plus graves qu’ils proviennent d’un homme qui incarne l’une des plus hautes institutions du pays.

En reconnaissant implicitement que des personnes incompétentes sont volontairement placées aux commandes, il pose une question centrale : comment gouverner un pays lorsque ceux qui le dirigent sont choisis non pour servir la nation, mais pour préserver des équilibres familiaux et claniques ?

Une vérité connue du peuple, mais tue au sommet

Ce constat n’est pas nouveau. Il y a plusieurs années déjà, le général Emmanuel Ngouélondélé Mongo, ancien directeur de la Sécurité d’État et ex-vice-président du Rassemblement pour la démocratie et la République (RDR), avait tenu des propos qui avaient profondément marqué l’opinion. Dans une interview devenue emblématique, il qualifiait son propre fils, Hugues Ngouélondélé, de « tête de mule » et regrettait ouvertement que ce soit précisément ce fils que le président de la République avait choisi pour nommer maire de Brazzaville.

Cette déclaration, rarissime dans un système fondé sur l’omerta, avait fissuré le discours officiel. Elle révélait non seulement l’absence de critères objectifs dans les nominations, mais aussi le malaise interne d’une élite consciente des dégâts qu’elle provoque, tout en continuant à y participer.

Cependant, bien avant cette confession publique, les Congolais avaient déjà compris. Dès l’annonce de la nomination de Hugues Ngouélondélé à la tête de la mairie de Brazzaville, l’opinion nationale n’a jamais cru à une décision fondée sur la méritocratie. Très vite, une lecture politique s’est imposée : cette nomination ne devait rien à un parcours exemplaire ou à des compétences exceptionnelles, mais tout à un lien personnel décisif — celui de beau-fils du président de la République.

Cette perception populaire est essentielle. Elle démontre que le peuple congolais n’est ni naïf ni passif. Il sait lire entre les lignes, identifier les logiques cachées du pouvoir et distinguer les nominations républicaines des promotions familiales. Lorsque même le père du nommé exprime publiquement ses doutes, cela ne fait que confirmer une évidence déjà largement intégrée dans la conscience collective.

La destruction silencieuse de la méritocratie

L’un des effets les plus destructeurs de ce système est l’élimination progressive de toute culture de la méritocratie. Des milliers de Congolais compétents, formés au pays ou à l’étranger, se retrouvent marginalisés, découragés ou contraints à l’exil, simplement parce qu’ils ne disposent pas des bons réseaux familiaux.

Cette situation alimente un profond sentiment d’injustice sociale. Elle envoie un message dévastateur à la jeunesse : le travail, l’effort et l’excellence ne garantissent rien ; seul le lien avec le pouvoir ouvre les portes. Dans un tel contexte, l’État cesse d’être un moteur d’élévation collective pour devenir un facteur de frustration et de désillusion.

Les institutions, privées de compétences réelles, deviennent inefficaces. Les décisions sont mal préparées, les politiques publiques mal exécutées, les ressources mal gérées. La mauvaise gouvernance n’est plus une exception : elle devient la norme.

Un peuple désabusé face à une République vidée de sens

Cette gouvernance par l’incompétence a des conséquences directes sur la vie quotidienne des Congolais : services publics défaillants, infrastructures délabrées, chômage massif, pauvreté persistante malgré les richesses naturelles du pays. À mesure que les institutions se vident de leur crédibilité, la confiance entre l’État et les citoyens se rompt.

La République, dans son sens le plus noble, repose sur un principe fondamental : l’égalité des citoyens devant les charges publiques. Or, ce principe est systématiquement violé lorsque l’accès aux responsabilités dépend du nom que l’on porte ou de la famille que l’on épouse. L’État cesse alors d’être un arbitre impartial pour devenir un instrument au service d’un groupe restreint.

Des aveux qui appellent un sursaut national

Les propos de Pierre Ngolo, tout comme ceux du général Ngouélondélé Mongo, devraient provoquer un véritable électrochoc national. Ils confirment, de l’intérieur même du système, ce que l’opposition, la société civile et la diaspora congolaise dénoncent depuis des décennies : la crise congolaise est avant tout une crise de gouvernance, de responsabilité et de valeurs républicaines.

La question centrale n’est donc pas de savoir si ces déclarations sont choquantes, mais pourquoi ceux qui les formulent continuent de soutenir un système qu’ils reconnaissent eux-mêmes comme nocif. Tant que le Congo restera prisonnier d’une logique clanique, où l’État est confondu avec une propriété privée et les fonctions publiques avec des dots familiales, aucune réforme sérieuse ne pourra voir le jour.

Repenser l’État pour sauver la République

Ces aveux publics doivent être interprétés comme un appel — volontaire ou non — à repenser profondément l’État congolais. Restaurer la méritocratie, réhabiliter les institutions, séparer clairement la sphère familiale de la sphère publique : telles sont les conditions minimales pour reconstruire une République digne de ce nom.

Sans cette rupture, les institutions continueront d’être occupées non par les meilleurs serviteurs de la nation, mais par des héritiers protégés, parfois même désavoués par leurs propres pères, au mépris du peuple congolais et de l’idée même de République.

En définitive, ces paroles venues du sommet ne sont pas anodines. Elles sont le symptôme d’un système à bout de souffle, qui se trahit lui-même par ses propres aveux. Reste à savoir si le peuple congolais acceptera encore longtemps que son avenir soit sacrifié sur l’autel du népotisme et de la médiocrité érigés en mode de gouvernance.

Serge Armand Zanzala, Écrivain, chercheur, citoyen engagé, Directeur de La Société Littéraire, Initiateur du projet Kongo Ya Sika

 

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